* Strella de Panos H. Koutras (Memento Films Distribution)

Publié le par 67-ciné.gi-2009











 Strella drame de Panos H. Koutras


 







avec :
Mina Orfanou, Yiannis Kokiasmenos, Minos Theoharis, Betty Vakalidou, Argiris Kavidas, Akis Ioannou, Kosta S Siradakis et Yiorgos Mazis

durée : 1h56
sortie le 18 novembre 2009

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Synopsis
De nos jours à Athènes, Yiorgos retrouve la liberté après quatorze années passées en prison. Il se met en quête de son fils, dont il a totalement perdu la trace. Réfugié dans un hôtel interlope, il rencontre Strella, sa voisine de pallier, une chanteuse de cabaret qui arrondit ses fins de mois en se prostituant.
Contre toute attente et au-delà des conventions - il se trouve que Strella est transsexuelle - une passion naît entre eux. Alors qu’ils n’aspirent qu’à une vie de couple apaisée, les fantômes du passé refont surface...


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Entretien avec Panos H. Koutras
- : « D’où vous est venue l’envie de bâtir une histoire autour d’une héroïne transsexuelle ? »

Panos H. Koutras : « C’est une idée qui remonte à l’époque où j’avais entre 17 et 18 ans. J’en avais imaginé la trame comme une légende urbaine que je m’amusais à raconter à des amis. Ensuite, j’ai pensé qu’elle serait un vecteur parfait pour un thème qui me tient à coeur : la remise en cause des stéréotypes et des idées reçues en Grèce. Nous avons longtemps été obligés de porter les valeurs de la Grèce Antique et en proposer une relecture m’a toujours stimulé. En inscrivant les racines de notre culture dans le monde contemporain, je tenais à montrer que l’on peut et que l’on doit faire évoluer un héritage comme celuilà. La Grèce est un pays moderne, même s’il est plus rigide, conservateur et bourgeois que le reste de l’Europe parce qu’il fait le grand écart entre Orient et Occident. Dans la Grèce antique, l’homosexualité n’existait pas, il n’y avait pas de traîtres mais que des héros, l’esclavage n’était qu’un détail : une société idéale, en somme (rires). Aujourd’hui, encore davantage que par le passé, il existe une autre Grèce : celle des gays, des transsexuels, des pauvres, des marginaux et cette Grèce-là véhicule une vérité indiscutable. Le peuple aussi s’est approprié des icônes comme La Callas ou Melina Mercouri et c’est lui qui est porteur de changements sociaux. Chez les transsexuels notamment, il y a une répercussion plutôt juste de ces valeurs et je voulais décrire leur quotidien avec le maximum d’authenticité. »

- : « Est-ce pour cette raison que vous avez choisi un vrai transsexuel pour incarner Strella, contrairement à d’autres films comme Transamerica avec Felicity Huffman ? »

Panos H. Koutras : « Elle est formidable dans ce rôle mais c’est davantage la performance de l’actrice que son personnage que l’on retient. Après deux jours passés à auditionner des acteurs professionnels, j’ai compris que seul un transsexuel pouvait être, et non pas composer, un transsexuel. C’est aussi le cas de tous les autres transsexuels du film qui le sont dans la réalité. En allant jusqu’au bout de mon raisonnement, j’ai opté pour des acteurs non professionnels. Il a fallu un an de casting pour trouver Mina et une autre année à faire des répétitions avec elle, puis avec l’ensemble des comédiens. »

- : « Quel est aujourd’hui le statut social des transsexuels en Grèce ? »

Panos H. Koutras : « Ce pays est encore très homophobe et la plupart des transsexuels sont des prostitués. Leur histoire est quasiment toujours la même : ce sont des garçons habitant dans des villages pauvres qui, à 13 ou 14 ans, sont obligés de partir de chez eux pour assumer pleinement leur identité. La ville semble idéale, à la fois pour avoir des relations sexuelles et pour gagner l’argent de leur opération, sauf que beaucoup sombrent dans la prostitution. Cette situation est devenue une fatalité même si les choses commencent un peu à évoluer : certains transsexuels travaillent dans des salons de coiffure ou parviennent à ouvrir une petite boutique, mais, par exemple, aucun n’a pu intégrer une école de théâtre. J’ai donc été obligé de passer un communiqué dans des journaux à travers toute la Grèce et puis, au fur et à mesure de mes recherches, le réseau relationnel a commencé à s’étoffer. »

- : « Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre avec Mina Orfanou ? »

Panos H. Koutras : « J’avais laissé une annonce dans un bar de transsexuels et elle y a répondu deux mois plus tard. Elle venait d’arriver à Athènes après avoir quitté Rhodes et m’a appelé à une période où je pensais renoncer au film. Je l’ai retrouvée à son appartement et, sans avoir une idée du scénario, Mina s’est mise à me chanter La Callas. C’était incroyable parce qu’elle lui ressemblait et que sa voix haute, proche d’un castrat, était impressionnante. Elle était à la fois confiante, extravertie, très grecque (rires). Très innocente aussi : elle n’avait que 24 ans et lorsque je lui ai dit Je pense que tu as beaucoup de talent, elle m’a répondu : J’y crois mais personne ne me l’a jamais dit. J’étais conquis même si je savais qu’il faudrait beaucoup de travail. Mina n’était allée que deux fois dans sa vie au cinéma et n’avait aucune idée de ce qu’était un tournage ! »

- : « Comment l’avez-vous formée aux bases du métier d’actrice ? »

Panos H. Koutras : « J’ai travaillé avec Mina comme avec les autres comédiens non professionnels mais aussi comme avec un enfant. Nous avons répété le scénario chez moi, en suivant son ordre chronologique : pendant deux à trois semaines, on jouait la même scène jusqu’à ce que ça soit parfait et je ne lui racontais jamais ce qui allait suivre. Mina était excitée, dans l’attente fébrile de la suite. J’ai dû également réagir en fonction de sa personnalité et réécrire certains dialogues pour qu’elle se les approprie. Ce n’est qu’au cours des quatre derniers mois précédant le tournage que Mina a répété avec Yiannis, son partenaire dans le film… »

- : « Yiannis Kokiasmenos qui avait déjà une expérience de cinéma et a été le seul acteur à accepter de jouer avec un transsexuel ! »

Panos H. Koutras : « Ce film n’a été qu’une suite de problèmes difficilement surmontables. Une fois que j’ai choisi Mina, je croyais que trouver Yiorgos ne serait qu’une formalité. Je suis tombé de haut : beaucoup ont refusé l’idée de tourner avec un transsexuel avant même de lire le scénario ! Comme en Grèce le starsystem vient de la télévision, j’ai exclu d’emblée les acteurs de séries ou de téléfilms et je me suis tourné vers ceux de théâtre. Là, je me suis heurté à deux obstacles : ils ne voulaient ni jouer face à un amateur ni se risquer à des scènes érotiques avec un vrai transsexuel. Beaucoup m’ont dit qu’il leur serait plus facile d’interpréter un gay, puisque leur entourage les savait hétéros, que de simuler l’amour avec un transsexuel, car les gens risquaient de croire qu’ils y prenaient vraiment du plaisir ! Sincèrement, le film était suffisamment compliqué à monter pour ne pas m’encombrer d’un acteur rivé à son image. Heureusement, j’ai fini par en parler à Yiannis qui est l’époux de la monteuse de mes deux précédents films : c’est un professeur d’équitation qui avait déjà joué quelques petits rôles, notamment dans L’attaque de la moussaka géante, puis deux autres plus importants. Il a adoré le scénario et j’ai senti qu’avec ses valeurs soixante-huitardes, Yiannis n’aurait ni a priori ni retenue (rires). »

- : « Qu’est-ce que vous connaissiez de la transsexualité avant la préparation du film ? »

Panos H. Koutras : « J’ai des amis transsexuels depuis très longtemps et comme j’ai également été militant pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT), c’est un univers qui m’était familier. C’est vraiment un monde très attendrissant, fier et abusé par la société : c’est une minorité dans la minorité et les transsexuels sont toujours ceux qui prennent en premier les coups. Leur rendre justice est devenu l’un de mes moteurs, ce qui n’était pas le cas au début. »


- : « Dès votre premier film, L’attaque de la moussaka géante, mais sur un registre délirant, ce sont des marginaux, à commencer par des gays et un transsexuel, qui combattent l’envahisseur et portent l’espoir. »

Panos H. Koutras : « Absolument ! Il y a beaucoup de points communs, pas sur la forme mais sur le fond, entre ce film et Strella, notamment à propos du combat contre les préjugés et de ce qui représente, à mon sens, un poids dans notre héritage culturel. Le Parthénon en est un parfait exemple et c’est pour cela que j’ai adoré le faire brûler dans mon second film, Alithini Zoi (rires). Actuellement, la Grèce est en quête d’une nouvelle identité et je suis heureux de vivre à une époque où, pour la première fois depuis deux mille ans, l’homosexualité est acceptée. »

- : « Pourtant, vous avez rencontré beaucoup de résistances, notamment financiers, à la réalisation de Strella… »

Panos H. Koutras : « Le scénario a été refusé par le Cnc grec - je n’ai reçu son aide qu’a posteriori pour payer mes dettes -, la télévision et tous les producteurs. Hormis le soutien de ma famille et de quelques amis, j’ai dû monter seul le financement. J’ai tourné le film en trois étapes, octobre 2007, janvier 2008 et avril 2008 : c’est un processus douloureux où le désir et la lassitude sont étroitement mêlés. Chaque matin, je me levais en voulant renoncer et, une heure plus tard, j’étais sur le plateau. En définitive, c’est la condition de l’artiste… Par contre, l’économie du film n’a pas déterminé le style : dès le début, je voulais tourner en super 16mm pour garder un côté cru, filmer les personnages caméra à l’épaule et de très près, faire le lien entre l’authenticité et l’artifice qui est l’une des composantes du monde transsexuel. Ce sont des gens qui créent leur propre réalité d’où jaillit cependant une vérité implacable. »

- : « Comment éviter les deux écueils propres à la représentation du transsexualisme, à savoir le folklore à plumes et le trash sordide ? »

Panos H. Koutras : « Simplement parce que, chaque jour, vous filmez des êtres de chair. Andy Warhol est un cinéaste qui m’a beaucoup influencé lorsque j’étais jeune. Ses films avaient un son voire une image atroces, et lui rétorquait : Oui, mais les personnages sont magnifiques. Même si des gens prétendent être autre, j’aime l’idée et le défi de capter leur vérité. Les transsexuels qui jouent dans le film sont passionnés, ils se donnent corps et âme, ce sont eux qui guident votre regard et vous obligent à bousculer vos stéréotypes. Par exemple, à travers le personnage de Mary qui est atteinte d’un cancer, j’ai voulu montrer que l’on pouvait contrôler son identité jusqu’à la mort : elle organise héroïquement ses funérailles comme si elle pouvait vaincre l’inéluctable. Les transsexuels ont aussi un humour acéré qui est à la fois une arme et un refuge : lorsque vous avez compris cela, vous touchez l’humain et vous ne versez plus dans ce folklore dont vous parlez. »

- : « L’un des paris du film est de montrer ses deux personnages principaux, Yiorgos et Strella, vivant et assumant pleinement leur sexualité… »

Panos H. Koutras : « Il ne faut pas oublier que Yiorgos sort de quatorze ans d’incarcération pendant lesquels il a exploré le désir, peut-être très loin de ce qu’il était à l’origine. Strella, comme tout transsexuel, a obéi à son désir profond et choisi de changer de corps pour assumer sa sexualité, c’est-à-dire sa voie vers le plaisir. Lorsqu’ils se rencontrent, il n’y a pas de retenue, en tous cas pas ostensible. Ce qui les rapproche, c’est le besoin réciproque de l’autre mais aussi l’amour, celui du corps et celui de l’esprit. En revanche, j’ai voulu que le devenir de leur relation reste en pointillés à la fin du film : chaque spectateur a le droit d’imaginer le rôle qu’ils vont tous deux jouer au sein de leur nouvelle famille. »

- : « Il y a cette scène intime d’une infinie pudeur où Yiorgos organise un jeu de lumières autour du corps de Strella. Pourquoi avoir filmé frontalement leurs sexes à ce moment précis ? »

Panos H. Koutras : « Parce que c’est la première fois que l’un accepte l’autre pour ce qu’il est, et surtout s’accepte face à l’autre. Strella, comme la plupart des transsexuels qui ne sont pas opérés, cache son sexe. Lors de la première scène où naît le désir entre eux, elle ne baisse pas entièrement ses sous-vêtements parce qu’elle n’est pas encore en confiance. Pour Strella, le pénis est la partie honteuse de son corps, comme chez d’autres il s’agira de hanches trop larges, d’une cicatrice encore visible ou d’un membre disgracieux. J’en reviens à cette envie de contrer les stéréotypes : on nous impose l’image d’une beauté normative comme s’il s’agissait de LA beauté, or est-ce que les gens objectivement beaux sont forcément source de désir ? Pas à mon sens (rires). C’est la même chose en ce qui concerne l’âge : il n’y a pas si longtemps, les femmes approchant la cinquantaine étaient considérées comme des monstres… Pour un cinéaste, la seule question pertinente à se poser est celle du regard. Si, dans cette scène, j’ai décidé de filmer la nudité de Yiorgos, c’est parce qu’ils sont tous les deux à pied d’égalité et que dans le regard de Strella, il est naturellement beau à voir. »

- : « L’autre thème majeur du film est celui de la filiation, qu’elle soit de sang ou de coeur… »

Panos H. Koutras : « C’était aussi le sujet qui affleurait dans L’attaque de la moussaka géante avec, lors du dénouement, la création de liens très étranges entre les personnages. Je crois en une vision large de la famille qui englobe aussi bien les parents qu’un voisin ou des amis. Tout repose sur la considération et le respect envers autrui. A mesure que le film progresse, Yiorgos parvient à questionner ses propres démons, à se remettre en cause parce que, au final, seul compte le besoin et le bonheur de l’autre »

- : « Le récit ne bascule-t-il pas alors dans une douce utopie ? »

Panos H. Koutras : « Je ne le pense pas. Au contraire, c’est une réalité, une aspiration moderne qui dépasse le cadre du film. Je l’ai constatée chez tous ces gens qui vivent en marge de la société et qui ne bénéficient plus de sa protection : ils sont obligés de se rapprocher et de se soutenir face à un monde très dur, violent. C’est là que la notion de famille au sens traditionnel ne rend plus compte de la réalité : telle est la conviction que j’essaye d’exprimer à travers le cinéma. En tant que personne, je suis peut-être un pessimiste mais en tant qu’artiste, je préfère me montrer optimiste. »

- : « Précisément, vous jouez tout au long du film du contraste entre l’urbanité agressive d’Athènes et le cocon des relations communautaires… »

Panos H. Koutras : « Oui, parce qu’Athènes comme toutes les grandes villes sont des lieux hostiles, particulièrement pour des êtres fragiles... Pour autant, il ne faut pas considérer Strella comme un film militant ou politique. Il ne s’agit pas de dire que les transsexuels sont les bons et que tout ce qui leur est extérieur est mauvais : c’est avant tout une histoire entre des êtres qui me touchent, pas un pamphlet qui défend ou juge quiconque. »

- : « En même temps, vous poussez très loin le concept d’amour absolu, lors de la scène-clé entre Strella et Yiorgos qui se déroule peu avant le dénouement. Avez-vous conscience d’un risque de rejet viscéral de la part du spectateur ? »

Panos H. Koutras : « Vous songez certainement aux mots prononcés par Yiorgos, dans la chambre d’hôtel, à propos de la paternité… Je pense que c’est cette phrase-là qui a coupé le film de toute subvention, mais je continue de la revendiquer parce que je n’ai pas réalisé une oeuvre didactique : ces propos appartiennent au personnage, c’est SON avis, SA façon de résoudre une situation intenable. Dans la production contemporaine, notamment américaine, le discours est souvent au premier plan et transforme le film en un conte moral dont chacun est censé tirer des enseignements. Cela n’est pas ainsi que je conçois le cinéma : un film doit suggérer des pistes de réflexions, pas imposer une vérité. Yiorgos est un père et non le porte-drapeau de la condition paternelle, heureusement (rires). Si les producteurs ont été si outrés par le scénario de Strella, c’est parce que dans la tradition de la tragédie grecque antique [cf. ci-dessous] la faute humaine est expiée par la mort. Je ne suis pas dans cette perspective fataliste : nous pouvons dépasser cela au quotidien et, dans cette histoire en particulier, les personnages y parviennent grâce à l’amour. »


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Fiche technique
Réalisation : Panos H. Koutras
Scénario : Panos H. Koutras et Panayiotis Evangelidis
Image : Olympia Mytilinaiou
Décors : Penelope Valti
Costumes : Vassilis Barbarigos
Montage : Yiannis Chalkiadakis
Son : Panos Tzelekis
Musique : Mikael Delta
Producteur : Panos H. Koutras
Coproducteurs : Eleni Kossyfidou et Greek Film Center
Une production : Panos H. Koutras
© Panos H. Koutras - Greek Film Center
Photos : Orphée Emirzas

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présentation réalisée avec l'aimable autorisation de  


remerciements à
Sonia Rastello et Pierre-Benoît Cherer
logos, textes & photos © www.memento-films.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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