* Antichrist

Publié le par 67-ciné.gi-2009











Antichrist drame de Lars von Trier


















avec :
Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe

durée : 1h44
sortie le 3 juin 2009

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Synopsis
Un couple en deuil se retire à “Eden”, un chalet isolé dans la forêt, où ils tentent de réparer leurs coeurs brisés et leur mariage en difficulté. Mais la nature reprend ses droits et les choses ne font qu’empirer…


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Lars von Trier : « Je voudrais vous inviter à jeter un regard furtif derrière le rideau, un regard sur l’univers sombre de mon imagination : sur la nature de mes peurs, la nature d’Antichrist. »

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Confession du réalisateur (
Copenhague, 25/03/09)
Lars von Trier : « Il y a deux ans, j’ai fait une dépression. Ça a été une nouvelle expérience pour moi. Tout, absolument tout, me paraissait sans importance, futile. Je ne pouvais pas travailler.
Six mois plus tard, juste pour m’entraîner, j’ai écrit un scénario. C’était une sorte de thérapie, mais aussi une recherche, un test pour voir si je pourrais encore faire un film.
Le scénario a été achevé et filmé sans grand enthousiasme, fait comme il l’avait été, c’est-à-dire en utilisant environ la moitié de mes capacités physiques et intellectuelles.
Le travail sur le scénario n’a pas suivi mon mode opératoire habituel. Des scènes s’ajoutaient sans raison. Les images étaient composées en dehors de toute logique ou de toute réflexion dramatique. Elles provenaient souvent des rêves que je faisais à l’époque ou de rêves que j’avais faits à une époque antérieure de ma vie.
Une fois encore, le sujet était la
Nature, mais d’une façon différente, plus directe qu’auparavant. Une façon plus personnelle. Le film ne contient aucun code moral particulier et possède seulement ce que d’aucuns appelleraient le strict minimum en termes d’intrigue. J’ai lu Strindberg quand j’étais jeune.
J’ai lu avec enthousiasme ce qu’il avait écrit avant d’aller à Paris pour y devenir alchimiste et pendant son séjour là-bas… la période qu’on a appelée plus tard sa
crise Inferno Antichrist a-t-il été ma propre Crise Inferno ? Mon affinité avec Strindberg ?
En tout cas, je n’ai aucune excuse à offrir pour
Antichrist. Rien d’autre que ma foi absolue dans le film - le film le plus important de toute ma carrière !
»


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extraits de l’nterview de Film #66 publiée par le Danish Film Institute, en mai 2009
Knud Romer, qui a fait une apparition dans Les Idiots de Lars von Trier en 1998, s’est entretenu avec lui au début du mois d’avril, alors que celui-ci venait de mettre la touche finale à son nouveau film, Antichrist.

Tu ressembles à un prêtre, me dit Lars von Trier, lorsque nous nous serrons la main devant la salle de projection de Filmbyen, où je m’apprête à voir son dernier travail, Antichrist. Le film est entouré d’un tel mystère et de tant de précautions de sécurité, que j’ai l’impression d’assister à une projection dans la salle des coffres du Ministère des Finances. Mais je suis là pour sauver ton âme immortelle, lui dis-je avec malice. Quatre vingt dix minutes plus tard, je quitte mon siège, profondément secoué. En rentrant à la maison, la peur et la paranoïa me gagnent lorsqu’un corbillard me dépasse sur l’autoroute.
La perspective d’interviewer Lars von Trier me rend nerveux. Grand expert en sarcasme et ironie, il peut détourner n’importe quelle conversation et la centrer sur vous et vos points les plus sensibles. Je l’attends à Filmbyen et l’on me dit qu’il est en retard. Sur la porte de son bureau, en lettres rouges dégoulinantes de sang, on peut lire : Le chaos règne. Une heure plus tard, on m’informe qu’il veut faire l’interview chez lui, à 20 kilomètres de là. Je suis tellement nerveux que j’ai peur de partir dans le décor avec ma voiture. En roulant sur la route étroite menant à sa maison, qui surplombe un ruisseau, je défonce une clôture et je heurte des pierres sur le parking, puis je me dirige vers la mauvaise maison avant d’entendre finalement une voix m’appeler par une porte ouverte, Par ici, Knud !
Lars von Trier est la courtoisie même. Sa femme, Bente, a fait des gaufres et de la tisane – les deux choses les plus réconfortantes de la terre. Je me cramponne aux deux, lorsque je réalise qu’on va faire l’interview en bas, au sous-sol, sur deux sièges sacco, avec Lars von Trier en chaussettes noires, ample caleçon noir et T-shirt noir. Subitement, je me demande ce qui va se passer – surtout que j’ai l’intention de lui demander pourquoi, comme tant d’autres grands réalisateurs, il refait sans cesse le même film avec des variations de plus en plus radicales. Qu’en l’occurrence, ce film parle d’un homme passif, paranoïaque, un mégalomane, qui est cloué au lit (comme dans Breaking the Waves) ou enterré vivant (comme dans Antichrist), tout en abusant sexuellement d’une femme malade ou mentalement dérangée au point de la tuer, afin de produire des images de désir sadomasochiste et de satisfaire sa sexualité de manière voyeuriste. Ma paranoïa se déchaîne – franchement, j’ai peur d’être le suivant !
Ça n’a pas été le cas, bien sûr. Ce n’est pas l’Antéchrist que j’ai rencontré au sous-sol, mais le cinéaste sympathique et ouvert au maximum – à la limite de la nudité, même – qui vit sa vie sur le fil d’une conscience aigue de la mort, afin de créer la richesse visuelle apocalyptique qui fait d’Antichrist un tel chef d’oeuvre. Une heure et demie plus tard, je regrette de n’être pas un meilleur intervieweur. En fait, c’est la première fois que je fais ça et je parle trop. En sortant, je fais une chose qui ne se fait pas : Je serre – très délicatement - Lars von Trier dans mes bras pour le remercier. Dans la voiture, ma nervosité, ma peur et ma paranoïa se dissipent, et cette fois – c’est vrai, je le jure – je dépasse un corbillard sur la route de chez moi.

Lars von Trier : « J’ai hâte d’entendre ta première question. N’oublie pas, elle doit être longue ! »

Knud Romer : « Tu as fait un certain nombre de films conceptuels où tu faisais obstruction à toi-même. Maintenant, Lars von Trier, le réalisateur d’images apocalyptiques est de retour. Pourquoi avoir fait la première chose, et pourquoi es-tu de retour ? »

Lars von Trier : « Tout ça, ce sont des images pour moi – même s’il y a des lignes tracées à la craie sur le sol. Mais je… (il hésite), je me sentais déprimé – j’ai vraiment touché le fond – et je doutais de pouvoir jamais refaire un film. Alors j’ai repris certains textes de ma jeunesse. A l’époque, j’étais passionné par Strindberg, surtout Strindberg en tant que personne. Il était extraordinaire. J’ai donc essayé de faire un film – je n’avais jamais parlé de ça, c’est dur à formuler – j’ai donc essayé de faire un film en jetant un peu la raison par-dessus bord. »

Knud Romer : « Le chaos règne »

Lars von Trier : « Oui (il rit). J’ai fait un certain nombre d’images que j’ai essayé d’assembler. Ça m’intéressait aussi de faire un film avec seulement deux personnages. »


Knud Romer : « Scènes de la Vie Conjugale… »

Lars von Trier : « Oui, Scènes de la Vie Conjugale, mais sous une forme assez différente. J’ai aimé Scènes de la Vie Conjugale à l’époque. J’ai trouvé ça fantastique. »

Knud Romer : « Mais ce couple est plus Strindbergien que Bergmanien. »

Lars von Trier : « Oui, ils se poussent davantage dans l’escalier chez Strindberg. »

Knud Romer : « Ta vision des femmes dans ce film rappelle probablement plus Strindberg que Bergman ? »

Lars von Trier : « Oui, on va probablement m’interroger encore sur ma vision des femmes. J’ai toujours eu une vision romantique de la guerre des sexes, sur laquelle Strindberg n’a pas cessé d’écrire. Nous n’arrêtons pas de décrire la relation entre les sexes. Je ne sais pas s’il existe une vérité univoque. »

Knud Romer : « Maintenant, tu fais des films de genre – entre très gros guillemets. Tu racontes toujours la même histoire, ton histoire, avec des variantes, sous différents angles, comme tant d’autres auteurs. Quelle est ta relation au genre ? Breaking The Waves est un mélodrame et Dancer in The Dark, une comédie musicale. Antichrist est un thriller ou un film d’horreur. Dirais-tu que ta relation au genre est romantique ou de l’ordre du jeu ? »

Lars von Trier : « Le genre est une inspiration. Mon histoire est pratiquement toujours la même. J’en suis conscient maintenant. Mais enfin, genre, je ne ferai probablement jamais un film de genre pur et dur, parce que je pense qu’on doit y ajouter quelque chose. Si j’étais cuisinier, ce serait ma version du classique rôti de porc. »

Knud Romer : « On dirait que tu vas pêcher les expressions conventionnelles dans un coffre à jouets et que tu les manies en les inversant complètement. »

Lars von Trier : « Après tout, j’ai fait des études de cinéma à l’université et j’aimais bien les films de genre. The Asphalt Jungle ! Un film noir tout à fait formidable. »

Knud Romer : « Une personne paresseuse, qui ne verrait que tes films, aura vu tous les genres qui existent. »

Lars von Trier : « Oui, tous dans le même film (il rit). Mais je ne suis pas particulièrement fidèle aux différents genres. Je ne dirais pas ça. J’aime bien quand il y a un peu de friction entre les choses. »

Knud Romer : « Certains diraient que tu t’approches – avec un engouement évident pour la transgression – du genre le plus tabou de tous, la pornographie. »

Lars von Trier : « J’ai un peu flirté avec, surtout dans Les Idiots. D’une certaine façon, la sexualité et l’horreur sont des genres très proches. Mais la pornographie ? Je ne sais pas. Est-ce de la pornographie ? Peut-être. Pourtant, la pornographie m’a toujours cassé les pieds. Les films pornos sont faits dans un but utilitaire. En général, ils sont plutôt grossiers. »

Knud Romer : « Les films d’horreur et les films porno mettent le spectateur dans un état d’excitation. Dans les films d’horreur, c’est la peur. Dans le porno, c’est le désir. Les deux se rejoignent dans l’excitation extrême, où il est parfois difficile de discerner ce qui est de l’ordre de la souffrance passive ou du désir actif. »

Lars von Trier : « C’est très joliment dit. Je n’aurais jamais pu le formuler aussi bien. »

Knud Romer : « L’un est vécu positivement, en tant que désir, et l’autre est vécu négativement, en tant que peur. Tes films produisent un effet similaire sur le spectateur. Est-ce une chose que tu recherches consciemment ou est-ce une expression émotionnelle personnelle ? »

Lars von Trier : « Tu me poses des questions difficiles. Mais la remarque est intéressante. Je cherche à faire des films qui touchent les émotions du public. Mais je le fais en créant une image aussi expressive que possible pour moi-même. Je prétends donc – même si c’est un peu mensonger – que je n’ai pas le public à l’esprit quand je fais un film. Essentiellement, je me satisfais moi-même avec les images que je fais. En même temps, je ne peux pas nier qu’elles sont faites avec l’intention de produire un effet. »

Knud Romer : « Ce film a provoqué une énorme peur en moi. J’ai du mal à m’en défaire. Ça me hante. Si je devais d’abord créer ces images dans mon esprit et affronter ensuite leur intense expression émotionnelle, je ferai une dépression nerveuse. »

Lars von Trier : « Le cinéma est un pâle reflet de la réalité. Quand on pleure au cinéma, c’est une pâle imitation de l’émotion similaire éprouvée dans la vie. Le cinéma est un moyen d’expression de second ordre de ce point de vue, parce qu’il se nourrira toujours d’émotions empruntées à la vie réelle. Si quelqu’un est terrifié, c’est probablement parce qu’il a des peurs à sa disposition, qu’il utilise au moment où il voit un film. Mais, le cinéma ne se borne pas à évoquer des émotions. Prenons Le Cri de Munch, que mon fils cadet vient de copier dans un dessin. Le Cri est l’expression ingénieuse d’une émotion, mais les gens ne s’enfuient pas en criant du musée. »

Knud Romer : « Tes films sont des cris ? »

Lars von Trier : « Hm. Antichrist est celui qui se rapproche le plus d’un cri. Il est arrivé à un moment de ma vie où je me sentais vraiment mal. On trouve l’inspiration dans ses propres peurs, ses propres émotions. Les choses viennent de là, mais se transforment ensuite en autre chose. Ce n’est pas comme s’il y avait un phénomène de télépathie entre le réalisateur et le public, du genre, tenez voilà la clé qui vous mettra dans l’état dans lequel j’étais, ce n’est pas comme ça. La raison pour laquelle le film d’horreur – et je ne suis même pas sûr de savoir ce que c’est – m’intéresse, c’est que je peux faire tellement de choses différentes. »

Knud Romer : « C’est un soulagement pour moi de te voir revenir à un univers 100% romantique, symbolique, avec quelques réminiscences catholiques, tout le bazar – c’est quasiment pré-romantique, gothique à beaucoup d’égards, Comte Dracula. »

Lars von Trier : « Oui, c’est vrai. Je ne peux pas l’analyser, mais visuellement on est sans aucun doute dans le genre romantique. »

Knud Romer : « Tu dis que le cinéma n’est pas le reflet exact d’une tranche de vie. La réalité d’un film d’horreur – une expérience passive, paranoïaque, de la réalité, celle de la mégalomanie où tout se ramène à toi – indique un spectateur passif. C’est comme la peur de l’obscurité : cet état passif paranoïaque que l’on voit sans cesse dans tes films, avec un personnage principal complètement paralysé, cloué au lit, enterré vivant ! »

Lars von Trier : « (il rit) Oui. N’oublie pas que j’ai lu Edgar Allan (Poe). C’était une figure romantique. »

Knud Romer : « C’est une belle chose que tes films expriment la peur de l’obscurité, si l’on considère qu’ils sont destinés à être vus dans une salle obscure, où le spectateur est totalement vulnérable. »

Lars von Trier : « J’ai voulu faire du théâtre autrefois, parce que je trouvais qu’on pouvait être plus effrayé au théâtre qu’au cinéma. J’ai eu le projet d’adapter L’Exorciste au théâtre. Je me sens mal à l’aise dans un cinéma, mais je me sens encore plus mal à l’aise dans un théâtre, parce c’est sur une scène. Aller au théâtre, c’est vraiment un scénario d’horreur pour moi. Puisqu’on parle du public, j’ai l’impression que seule une infime partie peut être communiquée. Mais je suis très content de ce film et des images qu’il y a dedans. Elles découlent d’une inspiration qui est réelle pour moi. J’ai été honnête dans ce projet. Je crois l’avoir été dans Les Idiots et dans mes autres films aussi. Mais là, c’est une réminiscence de certaines images provenant d’une époque antérieure de ma vie. »

Knud Romer : « Il semble que tu exploites la scène primitive, la première confrontation de l’enfant avec la sexualité de ses parents, qui est mystérieuse pour lui, et son incapacité à la comprendre. L’enfant ne sait pas ce qui se passe, mais il peut voir qu’on est transporté dans un état irrésistible de peur et de désir à la fois. Pour jouer à Freud, c’est la source de toutes les scènes primitives, la peur qui met fin à toutes les peurs. »

Lars von Trier : « Je t’écoute… »

Knud Romer : « Bon, mauvaise question…Le film est thérapeutique dans une certaine mesure. Mais le thérapeute du film ne ressemble pas vraiment à un thérapeute. C’est pratiquement un sadique, non ? »

Lars von Trier : « J’ai fait l’expérience de la thérapie cognitive, qui dit dans les grandes lignes, que si tu as peur de tomber d’une falaise, on te pousse par dessus, et ce sera la fin de cette peur. Apparemment, c’est une forme de thérapie qui connaît un grand succès. Bien sûr, ça dépend de la hauteur de la falaise. Ils ont beaucoup de succès avec les petites pentes. Bon, j’aime bien me moquer, blaguer, ce genre de choses. Et mes protagonistes masculins sont fondamentalement des idiots qui ne pigent rien. Dans Antichrist aussi. Alors, évidemment, ça fout la merde ! Le fait que la peur soit une chose, et la réalité une autre, ça se discute. La peur peut-elle changer le monde ? Je pense que oui – elle le change. »


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Fiche technique
Réalisateur : Lars von Trier
Scénariste : Lars von Trier
Directeur de la photographie : Anthony Dod Mantle
Monteurs : Anders Refn et Asa Mossberg
Directeur artistique : Tim Pannen
Producteur : Meta Louise Foldager
Coproducteurs  : Lars Jönsson, Andrea Occhipinti et Ole Østergaard
Producteur exécutif : Peter Garde et Peter Aalbæk Jensen
Coproducteurs exécutif : Bettina Brokemper et Marianne Slot
Production : Zentropa Entertainments (Danemark)
Distribution : Les Films du Losange
Attachés de presse : Jean-Pierre Vincent et Sophie Saleyron

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à
Régine Vial, Olivier Masclet, Mathieu Berthon et Farida Bitard

logos & textes © www.filmsdulosange.fr
photos © Christian Geisnæs

Publié dans PRÉSENTATIONS

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