* Katalin Varga

Publié le par 67-ciné.gi-2009











 Katalin Varga drame de Peter Strickland













avec :
Hilda Péter, Tibor Pálffy, Norbert Tankó, Melinda Kantor, Sebastian Marina, Roberto Giacomello et László Mátray

durée : 1h24
sortie le 7 octobre 2009

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Synopsis
Il suffit d’une indiscrétion pour jeter sur le pavé Katalin Varga et son fils Orbán. reniée par son époux et montrée du doigt dans le village, la jeune femme s’enfuit avec lui en charrette et s’engage dans un périple incertain.
Voilà onze ans que katalin n’a pas repris les routes de transylvanie. elle n’a pourtant rien oublié. au fil du trajet, les paysages se font inquiétants et les autochtones plus méfiants. Mais Katalin s’entête parce qu’au bout du voyage l’attendent un passé et la possibilité d’une rédemption...


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Entretien avec Peter Strickland
- : « Quelle est la première image de Katalin qui vous a traversé l’esprit ? »

Peter Strickland : « Cela n’est pas une image de cette femme mais celle d’un film, Les chevaux de feu que Sergei Parajanov a tourné en 1964. L’action se déroule dans un petit village des Carpates et il y a une scène où un gamin cherche désespérément son père, en hurlant son prénom dans la forêt. C’est un cinéma à la fois étrange et exotique, très loin de ce qu’était mon quotidien en Angleterre. Katalin Varga est née de tous ces films d’atmosphère que je dévorais adolescent : Parajanov donc, mais aussi Tarkovski, les frères Quay, etc. J’avais aussi envie de traiter des thèmes classiques de la vengeance et de la Rédemption mais à ma façon, c’est-à-dire en prenant le contre-pied des attentes du spectateur. »

- : « D’où vient cette fascination pour le paysage des Carpates ? »

Peter Strickland : « Du fait que j’étais citadin. J’ai grandi dans une ville du Berkshire, Reading, qui n’a qu’un intérêt : avoir abrité Oscar Wilde durant les huit mois d’emprisonnement où il a écrit De Profundis. On ne peut pas faire plus opposés que Reading et les Carpates ! Et puis, au fil de mes projections personnelles, j’ai compris que la nature m’inspirait davantage qu’un décor urbain comme chez Mike Leigh ou Ken Loach. Je suis un enfant du cinéma européen. J’adore les films britanniques, enfin ça dépend de l’époque : les années 80 étaient fulgurantes, avec Greenaway ou Derek Jarman, les années 90 étaient… je risque d’être grossier (rires). Du coup, je me suis tourné vers Herzog, Nicolas Roeg ou Fassbinder pour leur singularité et leur démesure. Pour autant, l’envie de tourner en Roumanie n’était pas le coeur du projet. A l’origine, nous devions aller en Albanie mais c’était trop dangereux, à cause des incidents à la frontière avec le Kosovo. »

- : « Il vous a fallu près de quatre ans pour finaliser Katalin Varga. Seriez-vous perfectionniste ? »

Peter Strickland : « La raison est toute autre ! En 2001, j’ai hérité de 30.000 euros après le décès de mon oncle. J’ai cru que cela suffirait à financer mon premier film, alors qu’il aurait fallu 200.000 euros pour tourner en Roumanie. J’ai donc préféré attendre un moment plus propice. La pré production a finalement commencé en avril 2004, le tournage s’est très bien passé, mais la post production a été cauchemardesque : je n’avais plus assez d’argent pour payer correctement le monteur et je ne trouvais aucun diffuseur intéressé. En 2007, j’ai tout lâché, je me suis trouvé un boulot normal et je suis retourné vivre en Angleterre… chez ma mère (rires). Je me suis résigné en me disant : Au moins, j’ai essayé. Pendant huit mois, aucun miracle ne s’est produit. Jusqu’à ce que deux producteurs hongrois m’appellent et me proposent un financement. J’ai pu achever la post production en décembre 2008. »


- : « Sur le tournage, à quoi ressemblait un Anglais égaré en pleine Transylvanie ? »

Peter Strickland : « A quelqu’un qui n’a pas pris le temps d’apprendre le hongrois (rires). Pour être honnête, je ne me sentais pas en territoire inconnu : je suis à moitié Grec, ma mère est orthodoxe, mon père enseignait le français donc la culture européenne était très ancrée dans mon éducation. Par contre, je me suis toujours considéré comme un étranger en Roumanie. Je n’ai jamais eu la prétention de faire un film réaliste sur ce pays. Katalin Varga n’est pas le portrait d’une femme roumaine, c’est une quête de soi aux résonances universelles. C’est aussi un conte : j’ai choisi d’aborder un sujet délicat à la manière d’une balade presque fantastique et sur un rythme posé. Katalin et son fils se déplacent en charrette, pas en voiture de course ! »

- : « Etait-ce important pour la crédibilité du film de choisir Hilda Péter, une actrice inconnue du public ? »

Peter Strickland : « Oui. Il n’a jamais été question de prendre une comédienne renommée, encore moins une star. Objectivement pour des raisons budgétaires mais, à supposer que j’ai eu plus d’argent, je ne l’aurais pas fait. Quand un visage venu de nulle part apparaît à l’écran, il y a une curiosité qui s’installe chez le spectateur. Et cette curiosité envers l’acteur se déplace vers le personnage. Lorsque je vois un film, même remarquable, avec Tom Cruise, même excellent, je vois Tom Cruise interpréter, composer, réaliser une performance. C’est agréable mais cela n’est pas ce que je recherchais. Hilda a apporté à Katalin l’authenticité et la rugosité que j’attendais. Elle s’est jetée à corps perdu dans le rôle. Son expérience au théâtre lui a permis de jouer sur le langage corporel et d’affronter des conditions de travail insensées : le rythme effréné, l’impossibilité de multiplier les prises, etc. »

- : « L’expression lumineuse affichée par Katalin, alors qu’elle revit une tragédie personnelle, est parfois troublante… »

Peter Strickland : « Lors de la scène du lac où elle confronte son bourreau, Katalin prend du plaisir : une partie d’elle est déjà morte mais elle tient sa revanche. Ce type est piégé, il est une marionnette entre ses mains : elle peut jouer tout à loisir avec lui et c’est une source de jubilation. Pourtant, cette illusion de sérénité ne fait pas d’elle une sainte. Son parcours est tout sauf christique mais la religion explique certains traits déconcertants de son comportement. Comme le fait qu’elle ne se révolte pas contre la fatalité. »


- : « Malgré la dureté de l’histoire, vous avez choisi d’évacuer la violence hors champ. Pour quelles raisons ? »

Peter Strickland : « Je mentirais si j’invoquais cette fois un budget serré. Même si Katalin a subi le pire, le film traite de vengeance et de pardon : je montre les conséquences d’un acte monstrueux et non pas l’acte lui-même. Je crois aussi qu’il est difficile d’éviter le voyeurisme en montrant l’acte, même lorsque les intentions d’un cinéaste sont irréprochables. exhiber cette violence, c’est prendre le risque de privilégier le point de vue de l’homme. Plus généralement, je suis convaincu qu’en montrer le moins a un plus grand impact. C’est une manière de rendre le spectateur responsable, de l’obliger à être actif. Pour revenir à la scène du lac, des amis la trouvaient trop longue et bavarde mais j’ai tenu bon. Je me souviens que, dans les années 90, l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie a fait surgir des images atroces que l’on regardait à la télévision, lors du dîner en famille. Plus tard, j’ai rencontré quelqu’un à Sarajevo qui avait vécu cette guerre et qui m’en a raconté des épisodes personnels. J’en ai fait des cauchemars : sa parole avait été cent fois plus prégnante que n’importe quelle image. »

- : « Est-ce qu’en filmant la barbarie, vous ne risquiez pas aussi de tuer le personnage d’Antal aux yeux des spectateurs ? »

Peter Strickland : « Absolument et c’était un point crucial pour moi. À mesure que Katalin progresse dans sa quête, la frontière entre le Bien et le Mal s’estompe et sa rencontre avec Antal en est la preuve cruelle : dans le regard de son épouse, il est l’opposé de celui que Katalin a connu, alors comment ne pas être déstabilisé ? Le spectateur est au courant de l’acte commis par Antal, mais il doit aussi avoir la liberté d’envisager l’homme qu’il est devenu. Cela n’empêche personne de le juger ni moi, en tant que cinéaste, de le filmer nu et vulnérable comme l’a jadis été Katalin. »

- : « Votre film a obtenu un Ours d’argent à Berlin, récompensant le travail sur le son. Celui-ci, à l’instar de la musique, contribue à installer une atmosphère inquiétante, à la lisière de l’onirisme… »

Peter Strickland : « La musique m’a toujours accompagné et inspiré au cours de mes voyages en roumanie, lorsque je partais en repérages. Le groupe dont je fais partie, The Sonic Catering Band avait déjà collaboré avec Steven Stapleton et Geoff Cox, dont j’admire les compositions. J’avais aussi à l’esprit le travail d’Alan Splet sur Eraserhead, sa façon d’utiliser des sons industriels pour exprimer l’état d’esprit des personnages. Lorsque vous prenez un film qui se déroule à la campagne, les sons d’ambiance sont relégués au second plan : dans Katalin Varga, ils sont mis en avant, parfois de manière agressive, parfois associés à la musique, à tel point que la frontière entre celle-ci et les effets sonores finit par être abolie. Cela renforce l’aspect brumeux, presque irréel, du périple que vivent Katalin et son fils. »

- : « le film débute sur une impression de réalisme, presque de naturalisme. Pourquoi lui avoir peu à peu donné des allures de cauchemar éveillé ? »

Peter Strickland : « Je me suis torturé sur la question de l’authenticité parce que le drame vécu par Katalin et son désir de vengeance sont bel et bien réels. Lors de la préparation du film, je me suis immergé dans la culture et les moeurs transylvaniennes, j’ai lu des livres sur la région, écouté la musique locale, etc. Mais j’ai réalisé que je resterais, malgré tout, un étranger et que le coeur du film était ailleurs. au final, seuls le contexte et l’environnement sont réalistes, notamment le rapport des habitants à la foi catholique. Cette réalité-là m’a permis de transcender une histoire très sombre en essayant de toucher au spirituel. »

- : « Certains plans, comme celui réitéré de la forêt obscure et menaçante, évoquent David Lynch dont l’univers vous fascine depuis longtemps… »

Peter Strickland : « C’est vrai qu’il a marqué mon adolescence après la vision d’Eraserhead et attisé mon appétit de cinéphile. Mais, curieusement, c’est surtout à La Nuit Du Chasseur que j’ai pensé en tournant ce film. J’espère vraiment que Katalin Varga n’est pas truffé de références inconscientes à David Lynch ! »

- : « Diriez-vous que, en tant que cinéaste, votre dessein est de faire vivre au public une expérience sensorielle ? »

Peter Strickland : « Oui, parce que le cinéma a toujours été un voyage, parfois un trip tellement puissant que j’espère à mon tour provoquer, au sens positif du terme, le spectateur. Trop de films sont purement illustratifs ou narratifs : cela peut être une qualité mais c’est réduire la portée du cinéma. Par exemple, j’adore voir et revoir Kes de Ken Loach, mais je reste viscéralement attaché à des gens comme Jodorowsky ou Stan Brakhage. J’aime le cinéma qui me permet d’atteindre des lieux où une caméra ne pourrait pas rationnellement s’aventurer. »


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Fiche technique
Réalisation : Peter Strickland
Scénario : Peter Strickland
Photographie : Márk Gyõri
Montage : Matyaf Fekete
Musique : Steven Stapleton et Geoff Cox
Son : György Kovácf, Gábor Ifj. Erdélyi et Zoltan Karaszek
Mixage : György Kovács
Producteurs : Tudor Giurgiu, Oana Giurgiu et Peter Strickland
Production : Libra Film & Peter Strickland

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présentation réalisée avec l'aimable autorisation de  


remerciements à
Sonia Rastello et Pierre-Benoît Cherer
logos, textes & photos © www.memento-films.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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