* Le syndrome du Titanic

Publié le par 67-ciné.gi-2009











 Le syndrome du Titanic documentaire de Nicolas Hulot et Jean-Albert Lièvre



















durée : 1h33
sortie le 7 octobre 2009

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Synopsis
« Ce film est davantage un appel à la raison et un acte politique qu’un documentaire sur la crise écologique.
D’ailleurs, la
belle nature sauvage est la grande absente… » Nicolat Hulot


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Entretien avec Jean-Albert Lièvre et Nicolas Hulot
Jean-Albert Lièvre : « Cela fait presque vingt ans que je réalise des films sur les paradis terrestres. Comme Nicolas, j’ai accumulé beaucoup de souvenirs sur les coulisses des pays visités lors de nos tournages «nature». C’est cette réalité-là que nous dévoilons aujourd’hui. Pendant des années, nous avons filmé le rêve, aujourd’hui nous montrons la réalité. Les hommes dans leurs milieux urbains, plutôt que de beaux paysages sauvages… »

Nicolas Hulot : « Si on avait fait ce film il y a trois ans, il aurait probablement ressemblé au film d’Al Gore, sous la forme d’un grand constat écologique… Mais les phénomènes s’accélèrent. Je ne peux plus me cantonner à l’analyse de la seule crise écologique. Je vois bien que toutes les crises - écologiques, économiques, alimentaires et climatiques - se combinent et qu’elles nous mènent droit vers une crise de l’humanité, voire humanitaire. Ce film veut inviter chacun à s’interroger sur le sens du progrès. J’ai cru longtemps que la planète était infinie, que la trace de l’homme était insignifiante, que le progrès était un processus linéaire, irréversible, que la science, la technologie et les institutions nous mettaient à l’abri des menaces… Tout cela est un immense malentendu. On a érigé un système qui court à sa perte car il fonctionne sur le principe d’une croissance exponentielle et de ressources infinies dans un monde qui, lui, ne s’étend pas… Quand on aura à gérer une addition de pénuries, notre vernis de civilisation risque alors de voler en éclats ! Pas besoin d’être un prix Nobel pour comprendre qu’on arrive au bout du processus. Tout le monde va être concerné, notre génération, mais également nos enfants, ici et ailleurs. Cela nous arrangerait de pouvoir fermer les yeux… mais aujourd’hui, on ne peut tout simplement plus se le permettre. Alors effectivement, nous n’avons pas fait ce film pour être aimés, ou aimables, mais pour servir une cause, pour aider à la prise de conscience et accélérer le passage à l’acte… »

Jean-Albert Lièvre : « Après le film d’Al Gore, nous avons beaucoup discuté avec Nicolas, et nos réflexions nous ont conduit à imaginer ce portrait sans concession de l’humanité. Flux humains liés au commerce, emballement des transports, globalisation de l’économie et de la culture, surconsommation, inégalités du partage des ressources, surexploitation des matières premières etc… Notre film est un miroir tendu aux hommes. Nous avons aussi voulu démontrer que le mode de raisonnement humain qui fonctionne de plus en plus à très court terme est en opposition totale aux grands cycles de la nature qui s’échelonnent sur du très long terme. Il est temps de nous accorder davantage avec le rythme de la nature et d’envisager les conséquences ou aboutissements de nos choix à l’échelle de plusieurs générations. »

- : « Pourquoi avoir appelé le film Le syndrome du Titanic ? »

Nicolas Hulot : « Le syndrome du Titanic reprend le titre de mon livre écrit en 2004. Il évoque bien sûr l’attitude des passagers du célèbre paquebot qui continuaient à danser et à festoyer sans réaliser la proximité avec l’iceberg fatal. Autrement dit, si nous ne changeons pas de direction, nous courrons à la catastrophe. Je dirais même que le scepticisme résiduel que j’observe encore chez certains à l’égard du changement climatique, revient à naviguer avec un bandeau sur les yeux par temps de brouillard à fond les manettes dans une mer parsemée d’icebergs… Le paquebot sur lequel nous sommes tous embarqués, c’est la planète Terre. Et nous n’en avons qu’une. »


- : « Comment vous êtes-vous répartis les rôles ? »

Jean-Albert Lièvre : « Nicolas a apporté la dimension politique et moi la vision cinématographique. C’est notre premier long métrage à tous les deux, nous nous connaissons bien et travaillons ensemble depuis quinze ans. Nicolas a cette grande qualité de savoir faire confiance aux gens qu’il rencontre et il m’a accordé sa pleine confiance. Nous avons beaucoup préparé chacune des grandes étapes (tournage, montage, commentaires, etc). Puis j’ai dirigé les tournages des deux équipes parties filmer durant un an aux quatre coins du monde. Le parti pris visuel est d’une grande simplicité, sans trucage de postproduction, ni mise en scène et privilégiant les plans fixes. Il y a en tout deux travellings et un seul fondu enchaîné dans tout le film ! J’ai tenu à garder cette réalité documentaire. Le film est graphique, mais pas esthétisant. J’aime beaucoup la photo, et en particulier les univers cinématographiques d’Antonioni (notamment Le désert rouge), de Kubrick, ou des films comme Soleil vert (Film de Richard Fleischer, réalisé en 1973). Au cours des repérages, j’ai d’ailleurs pris énormément de photos pour réfléchir aux cadres. Nous avons également beaucoup travaillé en amont avec Lionel Jan Kerguistel et Nedjma Berder, mes deux directeurs photo, pour trouver l’identité visuelle du film et conserver cette unité sur tous les tournages, ils partagent une grande part de la réussite visuelle de ce film. »

Nicolas Hulot : « Jean-Albert possède un sens artistique que j’admire et une grande technique. Il a su retranscrire en images mes craintes et mes aspirations. C’est aussi lui qui s’est occupé de l’univers sonore. Le montage a duré plus de onze mois. La trame principale du film a été rapidement montée, car nous avions une vision assez claire de l’histoire que nous souhaitions raconter. Mais les ajustements des séquences et le calage du commentaire sur les images ont pris du temps. »

- : « Vous nous entraînez dans un voyage spatio-temporel qui va des confins de la vie dans l’Univers aux grands temples de la consommation et aux trottoirs des mégapoles, révélant les absurdités et les paradoxes de nos sociétés… Le film était-il très écrit à l’avance ? Avez-vous été guidés par les rencontres ? »

Nicolas Hulot : « Le film est très construit. Il commence par montrer que les hommes sont constitués des mêmes atomes que la Nature pour suggérer l’absurdité de nos rivalités et rappeler que la vie tient du miracle. Cela paraît simpliste d’avoir à le rappeler au début du XXIème siècle, mais cela est essentiel. Ensuite, nous partons explorer la réalité de la condition humaine aujourd’hui. Il faut dire que la quasi-totalité des images provient de nos tournages. Le reste provient des archives de la Nasa ou de l’Ina... Nous savions où trouver les séquences et avions même anticipé certains événements significatifs de notre propos, comme la sortie délirante de l’iPhone à Tokyo. »

Jean-Albert Lièvre : « Le film est assez fidèle au synopsis initial. Il nous semblait important de commencer par renouer avec les origines cosmiques de l’homme, avant d’aller explorer les coulisses de ces gigantesques mégapoles qui concentrent la moitié de l’humanité. Nous vivons une aventure commune avec la galaxie, à plus de 220 kms/s, mais qui en est conscient ? Le générique du film exprime cette idée. Il est conçu à partir d’une image réelle de particules élémentaires fournie par le Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire). Notre caméra se promène sur l’image imaginant la trajectoire des atomes en collision dans la chambre à particules. Cette représentation graphique évoque les premiers instants de l’univers. La bande son, composée d’archives historiques de la première émission de radio en 1921 à aujourd’hui, symbolise le voyage des ondes dans le temps et dans l’espace, car les ondes que nous émettons à partir de la Terre sont libérées et évoluent à jamais dans l’espace intersidéral. À Tokyo, nous avons filmé le high-tech, à Lagos la démesure et la misère, à Minneapolis les excès de la consommation dans le plus grand centre commercial au monde : le Mall of America… Toutes ces séquences étaient prévues, mais pas forcément les rencontres humaines que nous y avons faites. C’est ainsi que les homeless se sont imposés dans notre séquence à Los Angeles, et que nous avons découvert les hommes cages, ces vieillards croupissant en Chine dans des habitats métalliques de quelques mètres carrés, à 200 mètres seulement d’un hôtel de luxe… De la même façon, je connais bien le Japon et souhaitais montrer la jeunesse branchée de Tokyo, mais c’est par hasard que nous sommes tombés sur cette fête hallucinante que nous avons filmée… »


- : « La caméra s’est invitée au ras de l’asphalte, parmi les exclus, les exilés, ceux qui sont en bout de chaîne… Quel message nous transmettent-ils et comment vous êtes vous faits accepter par ces populations ? »

Jean-Albert Lièvre : « Nous sommes allés à leur rencontre. Pour mieux nous faire accepter sur les trottoirs de São Paulo, de Shangaï ou du Caire, nous avons tourné avec des équipes réduites à un maximum de trois personnes. Quand on filme la nature, on passe son temps à pister des animaux qui vous fuient, mais dans les villes, c’est l’inverse, tout le monde vient vers les caméras. Tout l’enjeu est dès lors de se faire oublier. Durant le tournage, le plus souvent je composais le cadre, un cadre fixe et on laissait vivre l’action. C’est ainsi que nous avons filmé plus de trois cents heures de rushes, avant d’en sélectionner avec Vincent Delorme soixante dix pour commencer le montage ! Les gens non seulement nous acceptaient, mais finissaient par nous oublier… La magie des rencontres a fait le reste… Comme cette vieille femme qui habite depuis 22 ans dans sa voiture, rencontrée par hasard en recherchant un sac perdu par l’équipe, et qui nous donne une magistrale leçon d’humilité, ou comme ce pas de danse, esquissé naturellement par les homeless de Los Angeles devant nos caméras. D’ailleurs, j’ai envie que le film serve à ces personnes et puisse les aider. Nous réfléchissons à ce que nous allons pouvoir faire pour eux. »

Nicolas Hulot : « Ce que nous voulions, c’est montrer que derrière les mots crises, statistiques, urbanisation, consommation, il y a des histoires, des hommes et des femmes, des gens qui souffrent déjà, des paradoxes, des absurdités… Certains visages que nous montrons valent tous les discours du monde. Ils impriment la rétine et appellent une émotion chez le spectateur qui sera, nous l’espérons, créatrice. Eriger des murs pour colmater la misère des uns et la peur des autres est la réponse la plus futile qui soit. L’humanité doit apprendre à partager, elle n’a plus le choix. Ce ne sont pas des murs qu’il faut ériger, mais des passerelles. Les contrastes entre richesse, misère, abondance, pauvreté ont toujours existé. Mais aujourd’hui, ces paradoxes ont atteint une intensité inégalée. Le progrès a laissé de côté deux milliards d’exclus. Nous sommes reliés par la Tv et Internet : la grande misère côtoie l’opulence par écrans interposés. Ceux qui souffrent voient que d’autres ont tiré leur épingle du jeu, et l’humiliation vient alors s’ajouter à l’exclusion. Or, les rancoeurs peuvent vite dégénérer en tensions et conflits. La crise écologique vient accroître les inégalités d’accès aux ressources élémentaires et rend la vie encore plus difficile pour ceux qui connaissaient déjà la précarité et qui ne sont en rien responsables de ce qui arrive. »

- : « Les commentaires sont écrits et lus par Nicolas Hulot sur le ton du carnet intime, des confidences ? »

Jean-Albert Lièvre : « En nous livrant ses espoirs, ses peurs, ses doutes, Nicolas apporte une douceur et crée une atmosphère intime qui apporte beaucoup au film. Ses textes évoquent les confidences d’un père inquiet pour la planète qu’il lègue à ses enfants… Le ton, très travaillé, semble naturel, comme une pensée intérieure. Pour renforcer cette impression, j’ai enregistré Nicolas à son insu lorsqu’il se re-lisait et modifiait sur son ordinateur ses textes. Ce chuchotement introduit le prologue du film : une série d’images d’actualité, comme celles qui nous bombardent quotidiennement. »

Nicolas Hulot : « Ce que j’ai essayé de traduire dans le commentaire, c’est à la fois la profonde inquiétude qui a grandi en moi chemin faisant, et l’espoir sincère en l’homme et en sa capacité de changer les choses. J’oscille entre les deux en permanence. Et donc le film aussi… Il y a une vingtaine d’années, lorsque j’ai commencé à m’engager en faveur de l’environnement, il y avait une séparation théorique entre l’humanité et l’environnement. On étudiait les écosystèmes, les espèces, sans trop établir de connexions avec les activités humaines… Ce dont je suis sûr aujourd’hui, c’est que ce qui se joue actuellement, c’est l’avenir de notre humanité. »

- : « Témoignages, morceaux musicaux assez hétéroclites, sons d’ambiance : la bande son est très travaillée et plutôt optimiste. »

Jean-Albert Lièvre : « Je ne souhaitais pas avoir de musique originale, mais plutôt une bande musicale assez hétéroclite. J’ai donc mélangé des musiques composées par des auteurs anonymes trouvés sur Internet, avec un air d’opéra de Mozart (extrait de Don Giovanni…), du jazz (Nina Simone…), de l’électro-pop (Sébastien Schuller…) ou une adaptation du Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg en Japonais… J’ai aussi rencontré lors d’un repérage à Addis Abeba une superbe chanteuse éthiopienne, Zeritu, qui conclue merveilleusement le film. Quant aux sons d’ambiance, beaucoup ont été enregistrés durant les repérages, dans les métros, aéroports, ascenseurs, au bar du coin, dans la rue… Ensuite, le montage son a été minutieusement réalisé par Alexandre Hernandez pour donner une vraie identité au film. Enfin, nous tenions à insérer des sonores de grands témoins historiques comme JFK, Oppenheimer, Muhammad Yunus, Théodore Monod, Al Gore… Les documentalistes ont passé plusieurs semaines à les retrouver dans les archives à Washington ou à l’Ina. Ils apportent une réflexion supplémentaire : le sujet dont on parle concerne toutes les pensées, artistiques, politiques, ou philosophiques, et ce depuis longtemps déjà… »

- : « Le film se prolonge, pour chacun de nous, par l’espoir qu’ensemble, nous pourrons imaginer un autre monde possible. »

Nicolas Hulot : « Il va falloir aller puiser dans les utopies et faire en sorte que les utopies d’aujourd’hui deviennent les réalités de demain. Certains ont commencé à s’extraire du flux, à inventer des solutions innovantes, mais ils ne sont pas toujours audibles dans le bruit de fond médiatique. C’est pour cela que nous avons lancé, avec ma Fondation, une réflexion intitulée Évolution : Chapitre 2. Nous pensons que le chapitre 1 de l’humanité est clos, et que chacun peut participer à la création du chapitre 2 en apportant ses idées, ses solutions. Il y a des fractions de solutions en chacun d’entre nous. Nous voulons créer des passerelles des convergences d’actions, rassembler les propositions. Le monde politique va être contraint de faire des propositions radicales plus compatibles avec les réalités énergétiques et environnementales de la planète, en respectant nos libertés démocratiques bien entendu. Il faudra faire preuve de volonté et de sens commun. Chacun doit garder à l’esprit qu’il faut choisir entre le superflu et l’essentiel, trier dans ses besoins, et revendiquer la liberté du choix. Je n’ai pas voulu donner l’impression que les solutions passent par des inventions technologiques ; on aura certes besoin du génie humain, mais les enjeux sont plus intimes, plus profonds, c’est à chacun de s’interroger sur ses responsabilités. »


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Fiche technique
Réalisation : Jean-Albert Lièvre et Nicolas Hulot
Scénario : Nicolas Hulot et Jean-Albert Lièvre
Direction de la photographie : Lionel Jan Kerguistel et Nedjma Berder
Montage image : Vincent Delorme et Cécile Husson
Montage son : Alexandre Hernandez
Mixage : Emmanuel Croset
Direction archives : Laure Regnier

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de 

remerciements à
Stéphane Célérier
logos, textes & photos © www.marsdistribution.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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