* Joueuse

Joueuse drame de Caroline Bottaro


avec :
Sandrine Bonnaire, Kevin Kline, Francis Renaud, Jennifer Beals, Valérie Lagrange, Alexandra Gentil, Alice Pol, Elisabeth Vitali, Dominic Gould et Daniel Martin
durée : 1h40
sortie le 5 août 2009
***
Synopsis
Dans un petit village de Corse, la vie d’Hélène, effacée et discrète, est faite de jours qui s’enchaînent et se ressemblent...
Elle travaille comme femme de chambre dans un hôtel et semble apparemment heureuse avec son mari, Ange, et sa fille de quinze ans, Lisa.
Sa vie modeste et monotone paraît toute tracée...
Tout bascule le jour où, faisant le ménage d’une des chambres de l’hôtel, elle surprend, fascinée, un jeune couple d’américains très séduisants, qui jouent aux échecs sur une des terrasses.
Tout d’abord intriguée, puis finalement passionnée par ce jeu, Hélène mettra tout en oeuvre, avec obstination, pour maîtriser les règles des échecs jusqu’à l’excellence. Elle pourra compter sur l’aide du Docteur Kröger, un mystérieux habitant du village, pour arriver à ses fins. Mais cette métamorphose positive vers une nouvelle liberté pour Hélène, ne se fera pas sans modifier profondément ses relations avec sa famille, ses amis et les habitants du village.

***
Entretien avec Caroline Bottaro et Sandrine Bonnaire
Gaillac-Morgue : « Votre film est librement inspiré du roman de Bertina Henrichs, «La Joueuse d’échecs», comment avez-vous découvert ce livre ? »
Caroline Bottaro : « Bertina Henrichs était ma voisine de palier. Elle m’a proposé de lire le manuscrit de son premier roman alors qu’elle venait de finir d’écrire. J’étais sa première lectrice et elle sollicitait mon avis avant de contacter une maison d’édition. Dès la dixième page, j’ai été profondément convaincue qu’il y avait dans son texte, outre des personnages très attachants, à coup sûr un sujet passionnant pour le cinéma. »
Gaillac-Morgue : « Quels sont les éléments qui ont motivé votre désir d’en faire une adaptation à l’écran ? »
Caroline Bottaro : « Le personnage féminin, sa métamorphose à travers la découverte d’une passion, le microcosme dans lequel ce personnage évolue : un petit village, une île. Au fur et à mesure des versions du scénario, l’histoire s’est transformée. Dans le roman par exemple, Hélène n’est pas une expatriée, elle est native d’une île grecque, et le docteur Kröger un vieil instituteur, homosexuel non assumé. Malgré de nombreuses différences, j’espère que le film reste profondément fidèle au roman, et je suis heureuse d’entendre Bertina Henrichs dire aujourd’hui qu’elle se retrouve dans le film autant qu’elle m’y reconnaît aussi. »
Gaillac-Morgue : « Sandrine, vous avez soutenu ce projet depuis l’écriture du scénario, pourquoi ce coup de coeur ? »
Sandrine Bonnaire : « Il y a au départ ma relation d’amitié avec Caroline qui a co-écrit C’EST LA VIE de Jean-Pierre Améris. Caroline m’a fait lire une vingtaine de pages qui m’ont vraiment plu. Je l’ai encouragée à poursuivre et j’ai suivi toutes les étapes du projet. Cette histoire, simple en apparence, me plaît parce qu’elle raconte une vérité sur la vie : quelle que soit son origine sociale ou son niveau d’éducation, on peut changer son propre destin. Si on décide de mener à bien une passion, tout est possible. J’aime cette réplique qui résume le thème du film : « Quand on prend des risques, on peut perdre, mais quand on n’en prend pas, on perd toujours». »
Gaillac-Morgue : « Hélène se découvre brusquement une passion dévorante pour un jeu qui lui est tout à fait étranger, les échecs. Une passion qui va chambouler son quotidien ! »
Caroline Bottaro : « Au départ, Hélène ne se pose pas trop de questions sur son quotidien de femme mariée. J’aimais l’idée qu’elle ne soit pas une Madame Bovary qui rêve d’une autre vie. En voyant la sensualité qui émane de ce couple d’américains qui dispute une partie sur la terrasse de l’hôtel où elle travaille, elle se prend de passion pour le jeu d’échecs, comme si un homme lui faisait perdre la tête. Pourquoi ce coup de foudre chez cette femme à ce momentlà ? Comme Montaigne, je dirais simplement, «parce que c’était lui, parce que c’était moi». »
Sandrine Bonnaire : « Hélène n’est pas une femme malheureuse, ni une femme soumise, elle a choisi de suivre son mari pour vivre sur cette île. Il a fallu pendant un moment qu’elle prenne ses marques dans ce nouvel environnement où elle ne connaissait personne, mais elle a fait ce choix par amour. Puis avec le temps, son quotidien est devenu un peu insipide. À l’instant où elle découvre ce couple se prélassant en jouant aux échecs sous le soleil, elle est surprise, et le coup de foudre se déclare aussitôt avec son attirance pour cet homme et cette jeune femme qui ont l’air de tellement s’aimer. Elle est sensible à leur façon de prendre du temps, de savourer leur bonheur d’être ensemble. Le déclic ne se fait pas sur la partie d’échecs, mais sur la douceur intime qui émane de ce couple. Depuis la chambre, elle les observe d’abord, puis ses yeux glissent sur l’échiquier. D’ailleurs le film parle plus de sensualité ou d’amour que de jeux d’échecs... »
Gaillac-Morgue : « Ce moment de cristallisation sur cette image idéalisée, c’est aussi un plaisir de cinéma, d’être fascinée par une image. »
Caroline Bottaro : « Oui, le regard d’Hélène sur ces amoureux jouant aux échecs sur la terrasse est délibérément subjectif, j’ai voulu que cette vision soit une image idéalisée. C’est le moment déclencheur de tout le parcours d’Hélène qui, en plus d’aspirer à la sensualité qu’elle perçoit chez le couple, va s’identifier à cette femme, en apparence si différente d’elle : elle la revoit en rêve, «endosse» littéralement sa combinaison en soie et, comme elle, retient ses cheveux en un vague chignon. Ce qui fascine Hélène chez cette américaine, c’est qu’elle batte son amant aux échecs. La première «gagnante» du film, c’est elle ! »
Gaillac-Morgue : « Comment est venue la belle idée de choisir Jennifer Beals pour le rôle de cette jeune femme américaine ? »
Caroline Bottaro : « Hélène est, comme moi, de la génération qui a vu FLASHDANCE à l’adolescence. Et si c’était la vraie Jennifer Beals qu’Hélène reconnaissait, jouant aux échecs ce jour-là ? Cette éventualité m’amusait ! D’autant qu’il y a des points communs entre le parcours d’Hélène et celui de cette jeune métallurgiste qui devient danseuse qu’incarnait Jennifer Beals dans FLASHDANCE. »
Gaillac-Morgue : « Hélène est attachante par son insoumission et sa détermination à vouloir transformer sa vie. Qu’est-ce qui lui donne cette force ? »
Caroline Bottaro : « Du moment où elle commence à jouer aux échecs, plus rien ne compte plus pour Hélène que le besoin d’apprendre, de se perfectionner, de satisfaire sa passion. Elle ne se pose pas de question, elle y va ! C’est sa force. »

Gaillac-Morgue : « C’est du même ordre, ou du même désordre, qu’une passion amoureuse ! »
Sandrine Bonnaire : « Absolument. Une passion est souvent déraisonnable ! Hélène vit dans une bulle et soudain, elle découvre un univers totalement différent de celui qu’elle partageait avec son mari. Ce qui fout en rage son mari, il comprend qu’elle ne désire pas le quitter mais que, désormais dans leur couple, ils sont trois : elle, sa passion et lui. »
Gaillac-Morgue : « Le jeu d’échecs autorise de nombreuses métaphores. Dans le jeu comme dans la vie d’Hélène, un mouvement en entraîne un autre. »
Caroline Bottaro : « C’est une jolie formule. Mais ces parallèles sont des coïncidences heureuses, car je dois avouer que je ne connaissais et ne connais toujours pas grand chose aux stratégies du jeu d’échecs ! Pour préparer le tournage, j’ai consulté la Fédération Française des Échecs, j’ai assisté à des tournois et rencontré de nombreux joueurs, et toutes les parties que l’on voit dans le film sont évidemment conçues spécialement par des joueurs chevronnés. Mais, ce sont les aspects concrets du jeu qui m’intéressaient le plus : les regards, les petits gestes, les silences, les attitudes. On parle d’état de guerre, deux armées s’affrontent. La tension intime qu’il y a entre deux joueurs est palpable : pour Hélène, cette tension, qu’elle perçoit chez le couple d’américains, déclenche l’envie de jouer... pour Ange, son mari, cette tension est insupportable : après avoir vu Hélène jouer avec Kröger, il lui dit «pour moi c’est pire que si tu me trompais !». Sa femme s’est aventurée dans un monde dont il se sent exclu, sur lequel il n’a pas de prise. »
Gaillac-Morgue : « Une des qualités du film est d’arriver à captiver les spectateurs qui ignorent tout de la stratégie des échecs. On se laisse prendre au jeu ! »
Sandrine Bonnaire : « Oui, c’est un film très tendu, très prenant. On est tenu en haleine justement par l’acharnement de cette femme, par sa volonté à apprendre et à gagner la partie. C’est aussi un défi vis-à-vis d’elle-même. Elle se dit «j’y arriverai coûte que coûte». De toute façon Hélène a du tempérament, on le voit dès le départ quand elle ose demander une augmentation au Docteur Kröger chez qui elle fait le ménage. »
Caroline Bottaro : « J’ai été très touchée lorsque l’on m’a dit à la sortie d’une projection «on est pris par cette histoire comme si c’était un film d’action». J’ai, en effet, travaillé pour qu’il s’y passe tout le temps quelque chose, même si je tenais à ce qu’il n’y ait ni d’effets ni de rebondissements spectaculaires. Hélène avance imperceptiblement, et à force de surmonter tous ces nombreux petits obstacles, elle finit par avoir fait un grand bond en avant ! »
Gaillac-Morgue : « Hélène découvre un jeu où la seule figure féminine, la dame, est une pièce redoutable par excellence, la plus puissante de l’échiquier. Hélène est à l’image de cette pièce. »
Caroline Bottaro : « Ce n’est pas un film féministe pour autant ! Ni un film contre les hommes. C’est le point de vue d’une femme, qui donne à voir que tout individu n’est pas prédestiné. Ce n’est pas parce que depuis des années elle a fait des ménages, que sa vie se réduit à ça et qu’elle est terminée. Grâce à sa passion, cette femme d’origine modeste parvient à franchir toutes les barrières, individuelles et sociales. Se trouver soi-même, c’est au-delà d’une fonction ou d’une identité sociale. »
Gaillac-Morgue : « Vous ne faites pas un portrait à charge du mari, il a ses bons côtés, on le verra devenir tendre, et se reprocher de ne pas avoir encouragé sa femme. »
Caroline Bottaro : « Je n’aime pas la vision d’un monde binaire où tout est tout blanc ou tout noir, je tenais à ce que tous les personnages soient complexes et le récit nuancé. »
Gaillac-Morgue : « Le côté insulaire favorise encore aujourd’hui un certain conservatisme des traditions, comme le machisme. »
Caroline Bottaro : « Oui, je voulais discrètement le laisser paraître dans le film, de même que si l’on vient d’ailleurs, on est plus ou moins accepté, mais de toute façon on reste à vie un étranger. Le fait qu’ils soient tous les deux isolés rapproche Hélène de Kröger. Ce sont deux petites îles de solitude qui se rencontrent sur une île. »
Gaillac-Morgue : « La fille d’Hélène, une adolescente d’une quinzaine d’années se sent elle aussi «isolée» du fait de la condition sociale de sa mère. »
Sandrine Bonnaire : « Oui la gamine a un complexe d’infériorité, elle n’ose pas dire à son petit copain élevé dans une famille bourgeoise que sa mère est femme de ménage. Encore une fois, comme dit Caroline, il est très difficile de faire bouger les mentalités. Mais Hélène assume bien sa condition, elle ne se sent pas déshonorée à faire des ménages. C’est son boulot et à côté, elle a sa passion. Elle a conscience que la parenthèse qu’elle s’autorise est en train de déstabiliser sa famille, et peut-être de casser son couple, mais elle n’est pas culpabilisée. Jusqu’à présent, elle a tout fait en fonction de son ménage, elle a élevé sa fille, veillé sur son mari... Finalement ce changement va faire du bien à tout le monde ! Très vite sa fille l’encourage à retourner jouer aux échecs auprès de Kröger, parce qu’elle-même a évolué, grâce à la lecture de Martin Eden. »
Caroline Bottaro : « La scène de la danse orientale montre que la mère et la fille sont parvenues à se rapprocher et à se comprendre au sein de leur évolution individuelle. La fille prend conscience que sa mère n’est pas qu’une femme de ménage, cette danse dévoile quelque chose sur son passé. À l’adolescence, on veut être comme tout le monde. C’est normal que cette fille prenne le contrepoint de sa mère qui finalement est en train de se révéler être une personnalité avec une individualité affirmée. »
Gaillac-Morgue : « Il y a aussi le début d’une belle histoire entre Hélène et Kröger. Il y a entre eux une attirance qui dépasse le simple plaisir de se mesurer aux échecs. Comment souhaitiez-vous mettre en place cette relation ? »
Caroline Bottaro : « Il fallait qu’il y ait une vraie connivence. Ce qui se passe entre eux est au-delà de leur différence d’âge, de leur différence sociale, au-delà de cette situation de maître et d’employé. »
Sandrine Bonnaire : « Il y a un symbolisme intéressant dans leur relation, concrétisé par la présence de l’échiquier qui marque une frontière sociale entre le maître et la servante, entre le mentor et l’élève. Entre l’homme et la femme aussi car la largeur étroite d’un échiquier favorise un rapprochement intime chez ce couple de joueurs. »
Caroline Bottaro : « Kröger est d’abord intrigué, puis touché, et enfin carrément séduit par cette femme de ménage dont, au départ, il connaît à peine le prénom, et qui a l’audace de lui demander de lui apprendre à jouer. C’est elle qui l’intéresse, les échecs sont secondaires pour lui, d’ailleurs il y a bien longtemps qu’il a remisé son échiquier. »
Sandrine Bonnaire : « Hélène se sentant regardée a envie d’être de plus en plus jolie. Le regard de cet homme lui donne de l’importance, et donc confiance en elle. Elle s’épanouit. Sur la passion du jeu se greffe l’attirance de l’un pour l’autre. Leur manière de se parler devient stratégique, comme un déplacement de pion sur l’échiquier... »
Caroline Bottaro : « Quand Kröger lui dit «tu ne m’as pas manqué, mais je suis content que tu sois là», à l’évidence Hélène a pigé son jeu, et elle lui répond, «vous non plus». Ils sont à égalité à ce moment-là. Tous les deux connaissent les règles du jeu. Tous les deux savent manoeuvrer pour ne pas être découverts, pour ne pas être battus par une pièce de l’adversaire, sur l’échiquier... et sur l’échiquier amoureux. Cette alchimie que j’ai voulue entre Hélène et Kröger à l’écriture a été sublimée sur le tournage par la magie des acteurs. Dès la première scène entre eux, quand elle lui demande son augmentation, le regard de Sandrine est d’une puissance tellement extraordinaire, qu’on sent, à ce moment-là déjà, qu’elle est plus forte que lui, qu’il va lui céder sur tout et qu’elle finira par le battre aux échecs ! Je n’avais pas prévu ce regard, ça a été une surprise, un cadeau... Il y en a eu beaucoup. »
Gaillac-Morgue : « Comme lors de cette partie à l’aveugle entre eux, une des plus belles séquences du film. Une partie fantasmée, où le langage du jeu remplace les mots d’amour, n’est-ce pas ? »
Sandrine Bonnaire : « Oui, là, à travers un déplacement mental des pions, ils voudraient s’autoriser à se dire qu’ils s’aiment, mais... Pour moi, Hélène commence à dévoiler un peu ses sentiments, pas ouvertement comme le ferait la dame, avec la liberté d’aller droit au but sur l’échiquier, mais indirectement, comme le fou, de biais, en diagonale. Alors qu’elle a toujours été à avancer droit au but pour réaliser sa passion, là il y a un empêchement à dire ses sentiments. »
Caroline Bottaro : « Ce qui se passe entre eux à ce moment-là est de l’ordre du plaisir, du désir sublimé. J’ai longtemps cherché un accomplissement à leur relation et je sentais qu’il devait forcément être lié à leur façon de communiquer : les échecs. On ne peut pas imaginer ces deux-là ensemble dans un lit, si Hélène était réduite à une femme adultère, tout s’écroulerait, la singularité et la sensualité de leur relation n’existeraient plus. Le jour où j’ai expérimenté une de ces parties dites «à l’aveugle» (où deux joueurs jouent sans échiquier en disant juste les formules), j’ai ressenti un tel trouble que j’ai compris que ça allait marcher. Pour moi, Hélène et Kröger font l’amour dans cette scène, mais de façon très inédite ! »

Gaillac-Morgue : « Hélène éprouve à ce moment-là un plaisir sensuel avec Kröger, comme celui qu’elle observait au début du film entre ce couple d’américains. »
Caroline Bottaro : « Oui, en effet, cette partie «à l’aveugle» fait écho à la vision du couple d’américains jouant sur la terrasse du début du film. Mais là, Hélène est passée «de l’autre côté du voilage», elle est devenue l’héroïne de sa propre histoire. »
Gaillac-Morgue : « Quels étaient vos partis pris de mise en scène pour mettre en images cette histoire ? »
Caroline Bottaro : « Je tenais à ce que le film ne soit pas seulement réaliste, que l’on soit tout le temps avec Hélène, dans son quotidien, mais aussi dans sa subjectivité, dans son monde intérieur et ses rêves. Envahie par sa passion, des images inconscientes surgissent, et l’obsèdent. Brusquement elle voit le carrelage de la véranda se transformer en un échiquier géant ! Des rêves cauchemardesques troublent son sommeil, toutes les pièces deviennent noires ! Est-ce qu’elle revoit réellement Jennifer Beals à la fin du film ou est-ce une apparition ? La mise en scène se joue sur des détails infimes, le choix de la transparence d’un voilage pour distinguer à peine le couple des Américains sur la terrasse par exemple. Ou encore, le fait de créer une sorte de silence autour de Kröger en gommant le son de ses pas, en supprimant le tic-tac de l’horloge pour donner à chacune de ses apparitions la sensation que le temps s’arrête avec lui. »
Gaillac-Morgue : « Vous donnez en effet une certaine étrangeté au personnage de Kröger. »
Caroline Bottaro : « Ma vision du personnage de Kröger s’est précisée au fil des nombreuses versions du scénario. J’ai eu l’idée à un moment qu’il ne sortirait jamais de chez lui et qu’Hélène serait la seule à le voir. J’ai ensuite voulu qu’il surgisse dans chacune de ses scènes de façon un peu inattendue et mystérieuse. Son décor devait être intemporel et fantomatique. Pour moi, il peut être perçu autant comme un personnage réel que comme un partenaire idéal qu’Hélène se serait inventé. J’avais en référence le fantôme très incarné que joue Rex Harrison dans L’AVENTURE DE MADAME MUIR. »
Gaillac-Morgue : « La séquence du tournoi va dans ce sens. »
Caroline Bottaro : « Oui, la séquence du tournoi a été un véritable casse-tête à concevoir. Il fallait qu’on puisse croire au fait que Kröger joue chez lui la même partie qu’Hélène au tournoi, qu’il est là, présent avec elle en pensée, et qu’il lui souffle le jeu par communication télépathique ! Grâce à une préparation et à un découpage particulièrement précis, au talent des acteurs et de ma monteuse, Tina Baz, le charme opère et on ne se pose pas la question de la vraisemblance de la situation. C’est une des scènes du film dont je suis la plus fière ! »
Gaillac-Morgue : « Sandrine, comment souhaitiez-vous approcher ce personnage d’Hélène ? Vous la rendez attachante dès les premières images. »
Sandrine Bonnaire : « C’est le travail du Petit Poucet qui avance, caillou après caillou, en jouant sur des petites choses concrètes, des gestes, des émotions infimes, des jeux de regards, des riens. Pour la silhouette du personnage au début, avec Caroline, nous avions envie qu’Hélène porte des vêtements un peu austères, qu’elle ait les cheveux tirés et des chaussures plates, qui impliquent un certain type de démarche. On se disait, cette jeune femme s’oublie un peu dans la routine de son quotidien, donc elle ne prend pas le temps de se regarder dans une glace quand elle remonte ses cheveux... Voilà, des choses aussi simples que ça, qui peuvent sembler des détails, mais qui sont efficaces. »
Gaillac-Morgue : « Comment avez-vous pressenti que Sandrine Bonnaire serait l’interprète idéale pour ce personnage ? »
Caroline Bottaro : « L’idée de Sandrine est venue avec l’envie de faire le film. Ensuite, on a eu le temps d’apprendre à bien se connaître Sandrine et moi et chaque nouvelle version du scénario a été nourrie par ce que je découvrais d’elle et dont je voulais témoigner. Le projet du film est devenu indissociable de mon envie de faire une sorte de portrait de Sandrine. En plus de leur origine sociale affirmée et assumée, Hélène et Sandrine ont en commun une volonté et une ténacité inébranlables, une grande force de concentration. Hélène s’épanouit grâce aux échecs et au regard de Kröger, le parcours de Sandrine est marqué par des rôles et des rencontres avec des metteurs en scène. Elles sont toutes les deux très féminines, à la fois spontanées et réfléchies, intuitives et cérébrales. »
Sandrine Bonnaire : « C’est amusant parce qu’à la sortie de la projection du film, j’ai découvert que cette histoire est un peu le récit de mon destin, vu par quelqu’un qui me connaît bien. Le dernier plan du film, Hélène à la proue d’un bateau est un clin d’oeil volontaire au plan du générique de début de À NOS AMOURS de Pialat. D’une certaine façon, une boucle est bouclée ! »
Gaillac-Morgue : « Le couple Bonnaire - Kline va faire date ! »
Caroline Bottaro : « On ne peut pas aimer le cinéma, et avoir envie d’en faire, sans aimer aussi le cinéma américain. Quand on envoie un scénario à Kevin Kline et qu’il vous répond quatre jours plus tard qu’il souhaite vous rencontrer au plus vite, on ne réalise pas très bien ce qu’il se passe, mais ça commence à ressembler au bonheur du cinéma ! Kevin Kline est un acteur extrêmement physique, son talent lui permet d’exceller aussi bien au théâtre - il se produit régulièrement pour le New York Shakespeare Festival - que dans des comédies grand public. Ce film représentait pour lui un challenge car il jouait pour la première fois hors des États-Unis, dans une langue qui n’est pas la sienne, et dans un registre inhabituel. Je l’ai dirigé dans le sens d’une grande retenue qui ajoute à son charme et décuple son étrangeté. »
Sandrine Bonnaire : « En plus, on avait ensemble à mémoriser les parties d’échecs ! Très vite, on s’est sentis complices, on s’amusait aussi lorsqu’il s’exerçait avec moi à trouver le rythme, la respiration de ses répliques, à ne pas faire un sort à la prononciation d’un mot pour ne pas en changer le sens. Pendant les prises, Kevin osait de petites improvisations, une façon singulière de faire un geste, et moi, je rebondissais, je rentrais dans sa musique avec un vrai plaisir. Caroline nous autorise une certaine liberté de jeu car elle sait précisément ce qu’elle attend des acteurs. Elle essaye de mettre tous les moyens au service de ce qui se passe dans la scène. Elle cherche aussi à trouver la cohérence entre la personnalité de l’acteur et le personnage qu’il interprète. Ça donne des castings originaux, le choix de Valérie Lagrange en est un exemple. »
Caroline Bottaro : « Un acteur trimballe avec lui un vécu qui, à mon avis, se voit à l’image. Par exemple les tatouages que l’on aperçoit sur les mains de Valérie Lagrange racontent une histoire qui nourrit son personnage. Cette femme directrice d’hôtel pourrait avoir eu une première vie faite de voyages aux Indes dans les années 70, pourquoi pas ? »
Gaillac-Morgue : « Francis Renaud s’impose de plus en plus. »
Caroline Bottaro : « Francis m’émeut énormément en tant qu’homme et en tant qu’acteur. Il a beaucoup de choses en commun avec Sandrine : ils pourraient être frère et soeur dans une autre histoire. Quand un homme et une femme vivent ensemble depuis longtemps, ils finissent par se ressembler un peu, et il y a de ça dans le couple Ange et Hélène. Francis ne joue pas simplement le bon gars un peu largué. Même si on voit foncièrement que c’est une boule de tendresse, il laisse aussi transparaître une tension qui apporte beaucoup au personnage. On se dit, et si ça allait déraper entre eux ? »
Gaillac-Morgue : « Pourquoi l’idée de Nicola Piovani pour la musique ? »
Caroline Bottaro : « Nicola Piovani fait partie des belles rencontres du film. J’aime sa musique depuis que je connais les films de Nanni Moretti, il a aimé mon scénario et il a une grande admiration pour Sandrine. Il a compris que je voulais une musique qui soit un personnage à part entière du film. Ses mélodies, à la fois graves et légères, correspondent parfaitement à mon parti pris de dire les choses sans en avoir l’air. »
Gaillac-Morgue : « JOUEUSE est un des premiers films produits par Dominique Besnehard et Michel Feller, comment ont-ils accompagné ce projet ? »
Caroline Bottaro : « Très bien ! Dominique Besnehard et Michel Feller m’ont permis de réaliser mon rêve en grand. Ils ont été à la fois présents et très respectueux du film que je voulais faire. Mais, avant d’atterrir chez Monvoisin productions mon projet a connu les reliefs des montagnes Russes. Tout ne m’est pas tombé tout cuit dans le bec, cinq ans se sont écoulés, plusieurs producteurs se sont désistés, qui n’étaient, à l’évidence, pas les bonnes personnes. J’ai su que j’allais enfin faire ce film, le jour où Dominique Besnehard, qui avait été mon agent m’a dit «on se connaît depuis vingt ans, Sandrine restera toujours ma petite soeur de cinéma. C’est ton premier film, c’est ma première production, alors allons-y !». »
Sandrine Bonnaire : « C’est beau les premières fois ! »

***
Fiche technique
Réalisation : Caroline Bottaro
D’après le roman de : Bertina Henrichs «La Joueuse d’échecs», Éditions Liana Levi
Scénarion, adaptation, dialogues : Caroline Bottaro
En collaboration avec : Caroline Maly
Musique originale : Nicola Piovani
Directeur de la photographie : Jean-Claude Larrieu, Afc
Décors : Emmanuel de Chauvigny
Costumes : Dorothée Guiraud
Assistant réalisateur : Julien Zidi
Casting : Tatiana Vialle
Son : Erwan Kerzanet, Sélim Azzazi et Emmanuel Croset
Montage : Tina Baz Le Gal
Directeur de production : Rémi Bergman
Producteur exécutif : Jean-Philippe Laroche
Coproducteurs : Amelie Latscha et Felix Moeller
Produit par : Dominique Besneard et Michel Feller
***

présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Rania Tadjine
logos, textes & photos © www.studiocanal-distribution.com
remerciements à Rania Tadjine
logos, textes & photos © www.studiocanal-distribution.com