* L’imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam (Metropolitan FilmExport)
L’imaginarium du docteur Parnassus fantastique de Terry Gilliam
avec :
Heath Ledger, Johnny Depp, Colin Farrell, Jude Law, Christopher Plummer, Verne Troyer, Andrew Garfield, Lily Cole et Tom Waits
durée : 2h02
sortie le 11 novembre 2009
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Synopsis
De ville en ville, le Docteur Parnassus et sa troupe voyagent dans leur roulotte d’un autre temps. Cet homme sans âge possède le pouvoir de projeter les gens dans leur propre imaginaire, mais ce fascinant voyage se conclut toujours par un choix, qui peut mener au meilleur comme au pire…
Suite à un pari gagné contre le diable, Parnassus devint éternel, mais par amour pour une femme, il demanda la jeunesse en échange de son immortalité. Le diable accepta, à condition que le jour de ses seize ans, le premier des enfants de Parnassus à naître lui appartienne…
La jeune Valentina atteindra l’âge fatidique dans quelques jours et le diable rôde. Dans une tentative désespérée pour sauver son unique enfant, Parnassus va à nouveau jouer avec le feu : le premier de lui ou du diable qui séduira cinq âmes aura gagné. Avec Percy, Anton et le mystérieux Tony surgi de nulle part, le docteur va se lancer dans une extraordinaire course contre la montre. Le diable a tous les pouvoirs, mais Parnassus a l’Imaginarium...
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Entretien avec Terry Gilliam, scénariste et réalisateur
- : « Comment l’histoire du Docteur Parnassus est-elle née ? »
Terry Gilliam : « Je ne suis pas certain de le savoir exactement ! Au départ, je cherchais à rassembler en un seul film toutes les meilleures idées que j’ai pu avoir et qui n’avaient encore jamais été exploitées. Mon envie première était aussi de réaliser un film qui synthétiserait tout ce que j’avais fait jusqu’ici, y compris dans le domaine de l’animation ! J’ai d’abord imaginé une troupe d’artistes itinérants débarquant dans le Londres moderne. La roulotte de ces gens semble appartenir à une autre époque et constitue leur habitation, mais aussi la porte par laquelle le Docteur Parnassus sublime l’imagination des gens. Il est celui qui peut vous emmener là où vous n’aviez jamais rêvé d’aller. Toute la question est de savoir s’il possède réellement un quelconque pouvoir ou s’il est un charlatan… Nous en avons nous-mêmes douté durant tout le projet ! »
- : « On ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre le Docteur et vous. Vous nous avez souvent entraînés au-delà des limites de notre imagination et vous travaillez avec votre fille, qui est productrice sur ce film… »
Terry Gilliam : « Certains disent effectivement que ce film pourrait être autobiographique. Mais je ne suis pas d’accord. Je me suis évidemment beaucoup servi de mon vécu, de mes frustrations, de mes colères, de mes succès au cinéma, de mes échecs aussi, mais toujours en essayant d’ouvrir l’esprit des gens au monde et à ses infinies possibilités. J’ai personnellement deux filles et un fils, alors il est possible que l’on trouve des similitudes entre ma vie et celle du Docteur, mais l’histoire est originale, indépendante et suit son propre chemin. »
- : « Vous n’aviez plus écrit de scénarios originaux depuis BRAZIL et LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN. En quoi est-ce différent de travailler sur un film de sa conception jusqu’à sa finalisation ? »
Terry Gilliam : « J’ai commencé par écrire des choses que d’autres réalisaient. Après LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN, j'étais dans un tel état que j’aurais pu accepter tout et n’importe quoi. Finalement, je ne me suis pas précipité. J’ai même saisi la seule bonne opportunité du moment avec FISHER KING. Ensuite, ce fut L’ARMEE DES 12 SINGES, un autre scénario brillant que je n’ai pas écrit. J’aurais pourtant adoré écrire ces deux films. Je traite toujours de sujets qui me sont proches et auxquels je crois profondément. J’ai ensuite enchaîné avec LAS VEGAS PARANO, TIDELAND et quelques adaptations de livres. L’adaptation est un travail qui, au final, revient souvent à tout reprendre à zéro. Mais les textes originaux restent une source d’inspiration et un véritable tremplin pour le film. Il y aura toujours quelqu’un pour adapter les idées d’un autre. L’essentiel est de ne jamais trahir l’auteur et de toujours respecter l'essence d’un livre. Cependant, c’est une contrainte forte dont je commencais à me lasser. Je me suis dit qu’il était peut-être temps d’essayer de créer à nouveau. J’ai laissé libre cours à mon imagination pour voir ce qu’il en sortait. Voilà comment ce film est né. Vous vous trouvez ensuite embarqué dans une expérience un peu étrange et vous finissez par ne plus savoir vraiment si c’est vous qui tenez le film ou le film qui vous tient ! »
- : « L’IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS relate une formidable histoire, mais c’est aussi un film très visuel. Est-ce par le visuel que vous l’avez abordé ? »
Terry Gilliam : « La seule chose que je visualisais était la roulotte. Je l’imaginais étrange et surdimensionnée, un théâtre ambulant qui surgit et s’ouvre comme un palais des mirages… Elle est un peu magique. Tirée par des chevaux, elle semble d’une autre époque ; pourtant elle pourrait vous apprendre bien des choses sur vous-même. Elle appartient à l’univers des foires, des attractions qui attirent autant qu’elles effraient… Depuis l’enfance, j'ai toujours adoré cet univers. Sur son flanc est écrit : " Entrez et vous verrez les choses les plus extraordinaires qui soient ! ". Ce fut le point de départ. Ensuite, je ne me rappelle plus exactement la manière dont tout s’est enchaîné. Simplement, mes vieux tiroirs débordaient d’idées, de croquis, et il fallait trouver une place dans le film pour chaque idée. »
- : « Qu’est-ce que l’Imaginarium ? »
Terry Gilliam : « L’Imaginarium est un univers situé de l’autre côté du miroir. Il révèle votre imagination, la laisse grandir, s’épanouir et vous emporter. Evidemment, il y a un prix à payer… L’Imaginarium vous permet de survoler le plus merveilleux des mondes comme le plus affreux. Dans tous les cas, à un moment donné, vous devrez faire un choix, quelque part à la frontière entre les deux. Vous atteindrez alors des paradis toujours plus beaux, ou bien vous chuterez vers les abîmes de l’enfer. »
- : « Pour donner corps à vos films, vous utilisez aussi bien les techniques traditionnelles que les plus sophistiquées à ce jour. Ces techniques sontelles simplement des outils ou ouvrent-elles parfois un champ d’inspiration ? »
Terry Gilliam : « Je me sers de tout ce qui est à ma disposition pour concrétiser ce que j’imagine. Je mélange les techniques instinctivement, sans définir d’utilité particulière à chacune. Ce sont d’abord des outils au service d’une histoire. Le fait que je n’en privilégie aucune de facon systématique donne une liberté et un potentiel supplémentaires. La plupart des productions comparables à la nôtre nécessiteraient 100 à 150 millions de dollars pour faire ce que nous avons réalisé avec 30. Visuellement, ce film ressemble parfois à mes animations des Monty Python. L’une des scènes ? la première dans l’Imaginarium ? dévoile un monde en deux dimensions, mais qui s’étend à l'infini. J’avais autrefois voulu intégrer ce type de scène dans un film qui s’intitulait THE DEFECTIVE DETECTIVE. C’est désormais chose faite. L’Imaginarium est un univers qui échappe au naturalisme et au réalisme. Cependant, nous nous sommes attachés à créer des mondes complètement cohérents dans lesquels les personnages évoluent. Je n'essaie pas de reconstituer le réel. Dans JURASSIC PARK, il faut faire en sorte que les tyrannosaures et les brontosaures soient les plus vraisemblables possibles. Avec ce film, je suis dans l’imaginaire, pas dans le réalisme. Modestement, mon ambition est d’emmener le spectateur dans des endroits qu’il n’avait jamais imaginés. C’est grisant. Tout est fait pour surprendre, pour fausser les repères. »
- : « A quel moment l’aventure de ce film a-t-elle démarré ? »
Terry Gilliam : « Nous étions chez Peerless Camera Company, notre société d'effets spéciaux. Heath Ledger était présent ainsi qu’un très bon ami commun, Daniele Auber, auteur des story-boards des FRERES GRIMM. Ils tournaient un clip vidéo pour Modest Mouse. J’étais en train de montrer les premiers story-boards et Heath était là. Il m’a glissé un petit mot sur lequel il avait écrit : " Est-ce que je peux jouer Tony ? ". J’étais aussi emballé que surpris. Je lui ai demandé s’il était sérieux, s’il voulait vraiment le rôle. C’était le cas. Et tout a démarré ! »
- : « Vous aviez déjà travaillé avec Heath Ledger. Qu’aimiez-vous le plus en lui ? »
Terry Gilliam : « Heath était génial. Il ambitionnait de devenir réalisateur. Sur le tournage des FRERES GRIMM, il observait constamment le travail à la caméra. Il voulait tout apprendre, il était remarquablement intelligent. C’était quelqu’un d’exceptionnel, de sage, et l’un des acteurs les plus doués que j'aie jamais rencontrés. Tout ce que vous lui proposiez, il l’attrapait au vol et le magnifiait. C’était un acteur d’instinct. Il y avait quelque chose de joyeux dans son jeu. Contrairement à beaucoup d’autres, il n’entretenait pas un côté névrosé, pas du tout. Il était pétillant, débordant d’une énergie communicative. Sur le tournage de L’IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS, nous étions tous émerveillés. Heath nous surprenait à chaque prise tout en se montrant très généreux avec les autres acteurs. Il parvenait à les transcender. Et puis, à la minute où je disais " coupez ", il lancait une plaisanterie sur autre chose. Nous avons partagé de très bons moments. Souvent, j’ai eu l’impression qu’il portait le film. A chaque fois que je tombais sur un écueil, il était là pour donner une nouvelle impulsion. Si je me sentais fatigué, il me regonflait aussitôt, moi, tout le monde… Il était extraordinaire et unique. Ceux qui ont travaillé avec lui peuvent en témoigner. Il serait sans aucun doute devenu le plus grand acteur de sa génération, vraiment. »
- : « Comment avez-vous choisi le reste de votre casting ? »
Terry Gilliam : « Ce casting est sans doute l’un des meilleurs que j’aie jamais eus. Dès le début, pour le rôle du professeur, j’ai pensé à Christopher Plummer. Nous avions travaillé ensemble sur L’ARMEE DES 12 SINGES mais je l’ai aussi vu dans LE NOUVEAU MONDE de Terrence Malick et j’ai adoré sa prestation. Et puis j’ai travaillé avec sa fille et j’entretiens une relation privilégiée avec la famille. Le choix de Tom Waits dans le rôle de ce diable de Mr Nick s’est effectué lui aussi très rapidement. Nous avions déjà brièvement collaboré sur FISHER KING. A mon sens, Tom est le plus grand poète musical des Etats-Unis. Chacune de ses chansons me touche au plus haut point. Il est capable d’être drôle, sombre ou romantique avec la même intensité. Je me souviens du tournage des FRERES GRIMM – Heath, Matt et moi passions notre temps à l’imiter ! Tom a accepté le rôle sans même avoir lu le scénario. Concernant Verne Troyer, je l’ai toujours trouvé extraordinaire. Il avait fait une apparition dans LAS VEGAS PARANO. Finalement, comme dans BANDITS BANDITS, se moquer de soi-même en portant des costumes ridicules est aussi une facon, pour les gens de petite taille, de se donner une certaine dignité. J’ai ressenti cela avec Percy, un personnage extrêmement sensé et cynique qui suit Parnassus depuis toujours. Lily Cole a été notre choix le plus osé. Elle n’avait quasiment aucune expérience du cinéma, mais Irene Lamb, la directrice de casting, l’a trouvée vraiment intéressante. Je cherchais un physique atypique - ce qui s’applique d’ailleurs à tous les acteurs du film ! Mais il fallait qu’elle soit à la fois belle et hors norme. Lily correspondait parfaitement : elle mesure plus d’un mètre quatre-vingts, elle a des cheveux roux incroyables et son visage ressemble à celui d’une poupée de porcelaine du XIXe siècle. Elle est brillante, intelligente et on peut facilement croire qu’elle a seize ans. Pour le personnage d’Anton, le scénario ne délivrait que peu d’informations. Andrew Garfield nous avait envoyé une cassette vidéo tournée avec l’aide de sa petite amie. Elle contenait quelques scènes, chacune interprétée de trois manières différentes, et nous l’avons trouvé sensationnel ! Nous nous sommes donc rencontrés et c’était fait. Suite à ca, il a décroché son rôle dans BOY A. »
- : « L’esthétique du film est, comme toujours avec vous, minutieusement étudiée. Pourriez-vous nous en dire plus sur le soin apporté à l’image ? »
Terry Gilliam : « J’ai travaillé de manière très instinctive en dessinant les choses. Par exemple, pour la roulotte, j’ai esquissé quelques croquis avant de les montrer à Dave qui les a ensuite retravaillés. Mais je sais ce que je veux et le résultat reste souvent proche de mon ébauche initiale ! Ensuite, Nicola Pecorini intervient et nous en discutons à nouveau. Nous lancons un maximum d’idées et nous nous posons des questions : à quoi le film va-til ressembler ? Quelles couleurs allons-nous employer ? Ensuite, je donne aux choses l’aspect que je souhaite leur donner. Il faut surtout savoir s’entourer. Dave Warren, Anastasia Masaro et tous ceux qui ont travaillé sur l’aspect esthétique du film l’ont enrichi de leurs idées. Moi, j’ai simplement agi comme un filtre. J’étais le seul à dire : " J’aime. Je n’aime pas. " Un jour, Nicola a amené le book d’un peintre scandinave nommé Odd Nerdrum. Il se trouve que je connaissais cet ouvrage, ce qui montre à quel point il est important de s’entourer de collaborateurs branchés sur la même longueur d’onde. Les peintures de Nerdrum sont empreintes de mystère. Elles ressemblent à de très anciennes toiles, presque médiévales, et sont en même temps résolument modernes. Elles mettent en scène des gens lumineux d’espérance dans des univers très sombres. Le style est très curieux, quasi naturaliste… Nous nous sommes dit que c’était prodigieux et qu’il fallait partir là-dessus. Finalement, après avoir exploré de nombreuses pistes, nous avons exposé le tout aux redoutables éclairages de Nicola. Son job était de rendre lugubres et ambigus les plus magnifiques éléments de décor… »
- : « Pendant la préparation du film, quel fut le plus grand défi que vous ayez eu à relever ? »
Terry Gilliam : « Nous voulions nous rendre à Londres hors période d’affluence, de préférence avant la période de Noël, mais nous n’avons pas pu. Nous sommes donc arrivés làbas durant les congés de Noël. La plupart du tournage se déroulait de nuit et l’hiver nous avantageait parce que les jours sont très courts. Cependant, le froid ne nous a pas épargnés, et puis il a fallu dénicher les nombreux lieux de tournage… En résumé, il a fallu résoudre tous ces problèmes pour pouvoir démarrer le tournage dans les temps. Mais nous y sommes parvenus. Honnêtement, je ne sais pas comment ! Je me souviens de notre première nuit au Blackfriars Bridge, Heath et Andrew étaient suspendus sous le pont par des câbles… Nous avons perdu des heures à régler des détails dans un froid de canard. Toujours est-il que soudainement, nous avons senti poindre le jour… C’est ainsi que le tournage a commencé ! »
- : « Comment la disparition de Heath Ledger a-t-elle été perçue sur le tournage et par vous-même ? »
Terry Gilliam : « Le fait qu’Heath ne revienne pas sur le tournage a été un choc pour tout le monde. L’annonce de sa mort a été pire. J’espère qu’aucun de nous n'aura jamais plus à revivre cela parce que cette nouvelle a été insupportable. Il était aimé de tout le monde et représentait une source de bonne humeur et d’énergie sur ce film. Le tournage londonien achevé, j’ai pris l’avion pour Vancouver tandis qu’Heath embarquait pour New York. Nos chemins se sont donc séparés mais devaient se recroiser à nouveau à Vancouver pour la seconde partie du tournage. Et puis il y a eu ce 22 janvier 2008. Nous attendions Heath en fin de semaine mais le mardi, j’ai recu un coup de fil de ma fille Amy qui m’a dit : " Tu dois venir ici ". J’ai répondu : " Je suis débordé ". Et là, au même instant, sur le site de la BBC, j’ai lu : " Heath Ledger est mort ". Ma vie s’est comme suspendue. Nous nous sommes tous retrouvés prostrés, brisés. Nous ne parvenions pas à mettre des mots sur cet événement parce qu’il était tout simplement impossible et inacceptable. Il a fallu des jours pour réaliser. C’est seulement parce que cela fait plus d’un an aujourd’hui que je commence à croire que je pourrai un jour accepter sa disparition. Ma première réaction a été d’abandonner le tournage. Sans lui, je ne me voyais pas continuer, humainement d’abord, et ensuite parce que son rôle était trop central. Ce sont les autres qui m’ont donné la force de poursuivre. Ils m’ont secoué, ils m’ont même harcelé. Tout le monde me disait que nous devions finir ce film pour Heath. " Oublie ton film, Terry, c’est maintenant celui de Heath Ledger ". Alors, nous avons discuté. Quelqu’un a dit : " Nous devons trouver un autre acteur pour jouer son rôle ". Ce à quoi j’ai répliqué : " Je ne veux pas faire ca et puis ca ne marcherait pas ". Et parce que son personnage avait traversé trois fois le miroir, j’ai dit : " Trois acteurs le remplaceront ". J’ai d’abord appelé Johnny Depp qui m’a tout de suite dit oui, aussi simplement que ca. S’il avait dit non, tout aurait été perdu. Au total, nous avons connu un arrêt d’environ un mois. Durant cette période, nous avons dû tout revoir y compris le budget, car tout était en train de s’effondrer. Lorsque nous avons repris le tournage, je ne sais même plus si Colin Farrell et Jude Law avaient déjà signé leur contrat. Dès lors, nous avons dû tourner presque toutes les scènes en intérieur. La présence de Colin, Johnny ou Jude supposait que l’on soit raccord au niveau des conditions météo, et nous étions tributaires de la disponibilité des acteurs. C’était compliqué, chacun d’eux étant déjà pris par des projets en cours. Tout le monde y a mis du sien. Nous avons remis tout le planning à plat. Le tournage est devenu un numéro de cirque dont nous étions les jongleurs et les contorsionnistes. Pour ne rien arranger, Bill Vince, un de nos producteurs, souffrait beaucoup de son cancer. J’étais vraiment ému de voir Johnny, Colin et Jude s’impliquer dans cette aventure simplement parce qu’ils aimaient Heath. Leur empressement à sauver le film et la dernière prestation de Heath a été un incroyable geste d’amour et de générosité. Un moment de cinéma et d’humanité superbe et rare. Grâce à eux, le film est encore plus spécial, plus surprenant, il est devenu plus amusant, et surtout, encore plus magique. J’en suis et j’en serai toujours bouleversé. Un jour, nous avons mis en boîte la dernière scène. Je ne sais pas comment, mais nous avons réussi. »
- : « Quel est l’apport de chacun des comédiens au personnage de Tony ? »
Terry Gilliam : « Johnny apporte une énergie, un humour immédiat, quelque chose de joyeux et de décalé. Il est parfaitement à sa place dans cet univers onirique et fou. On a envie de le suivre, de le croire. Jude Law révèle une facette pétillante, charmeuse du personnage. Il est séduisant, élégant. Il dégage aussi une certaine vulnérabilité. C’est un mélange qui lui correspond parfaitement. Colin Farrell avait la lourde tâche d’incarner Tony à l’heure des choix, sur toute la fin du film. Il devait à la fois être attirant et sombre, sympathique et antipathique. Ce n’était pas évident à restituer et Colin est fantastique. »
- : « Quel regard avez-vous sur les effets spéciaux ? Vous aimez travailler avec les fonds verts ? »
Terry Gilliam : « En l’occurrence, nous avons utilisé des fonds bleus contrairement à ce qui se fait d’habitude, mais les détails techniques n’ont aucune importance. Globalement, l’écran implique une démarche assez curieuse. Vous êtes obligé de garder constamment à l’esprit une image très précise de ce que vous faites. Vous prévisualisez grossièrement les scènes mais vous n’avez aucun élément devant les yeux. De fait, vous doutez perpétuellement. Dieu merci, ce film ne misait pas sur des effets trop sensationnels, au sens où l’action, de l’autre côté du miroir, s’appuyait essentiellement sur le côté joyeux ou étrange des environnements. Les acteurs n’ont pas eu à toucher ou à s’agripper aux éléments du décor. Nous construisions tout de même des plateaux avec des éléments qui me servaient de points de repère. En raison de la cadence de travail, les acteurs devaient uniquement se fier à mon imagination. Nous n’étions pas dans des conditions ordinaires de tournage. Il n’était pas possible que l’un d’eux donne son avis et que l’on en discute. Ils se sont retrouvés dans cette situation d’urgence et il fallait faire avec. Johnny, Colin et Jude se sont prêtés au jeu et ont été formidables. Dans le principe, je sais qu’il est possible de quasiment tout faire faire à un comédien à l’aide de trucages ou d’images de synthèse. Certains films l’ont brillamment démontré. Mais je préfère de loin diriger un humain, capter l’émotion d’un regard ou une présence, qu’avoir affaire à des ordinateurs. »
- : « Ce film revêt-il désormais une signification particulière à vos yeux ? »
Terry Gilliam : « Ce film représente beaucoup pour moi mais je ne suis pas sûr de savoir pourquoi. Son déroulement a été complexe, émouvant, cauchemardesque, merveilleux, magnifique, épouvantable… Tellement de choses extrêmes à la fois ! Je le suspecte pourtant d’être l’une de mes plus belles réalisations. J’étais terrifié à l’idée de ne pas pouvoir le terminer. Le film est magique, trépidant, touchant et drôle. C’est certainement mon oeuvre la plus mature mais aussi la plus juvénile ! »
- : « Pour quel public avez-vous travaillé ? »
Terry Gilliam : « Je pense que ce film peut plaire aussi bien aux enfants qu’aux grands-parents. Etrangement, il me fait penser à un mix entre LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN et BANDITS BANDITS. C’est un film que nous avons voulu tous publics. Lors des premières projections, nous nous sommes apercus que le film plaisait énormément aux enfants et aux adolescents. Ils réagissent formidablement à l’histoire et aux univers visuels, qui doivent les changer des jeux vidéo ! Le film traite aussi de nombreux sujets et à plusieurs niveaux, de sorte que chaque spectateur y trouve un écho. »
- : « Vos films sont souvent empreints de mysticisme et de philosophie, et celuilà peut-être encore plus que les autres. Souhaitez-vous délivrer un message ? »
Terry Gilliam : « Le mysticisme et la spiritualité font partie de la vie. Ils sont une composante essentielle de ce qui fait de nous des êtres humains. Cela m’imprègne. Je n’apprécie ni les fanatiques ni les extrémistes. Simplement, comme beaucoup, je me pose des questions. Je n’ai pas la prétention d’apporter des réponses mais j’espère faire en sorte que les gens s’ouvrent l’esprit en se posant des questions. Mes histoires sont faites pour les emmener là où ils n’auraient peut-être pas été tout seuls. »
- : « A travers vos films, vous nous entraînez souvent de l’autre côté du miroir en nourrissant notre imaginaire. Que découvririez-vous si vous-même passiez à travers le miroir ? »
Terry Gilliam : « J’ai la chance de passer à travers chaque fois que je fais un film ! Je me plonge alors dans mes idées, dans mes visions et beaucoup de gens m’aident à leur donner corps pour les partager. C’est un privilège. Je passe ma vie à visiter mon imaginaire pour ensuite y inviter des gens ! Pour moi, le plus dur, c’est d’en ressortir, d’affronter à nouveau le monde tel qu’il est. Là, je ne maîtrise plus grand-chose et comme tout le monde, je souffre ! »
- : « Vous occupez une place à part dans le 7ème art. Savez-vous pourquoi ? »
Terry Gilliam : « Je ne sais pas pourquoi les gens aiment mes films ni ce qui les séduit exactement. Je pense m’être toujours consacré à des films qui me passionnaient et qui me parlaient. Je suis sincère et c’est ca l’important. Mes films ont toujours raconté une histoire. Je n’étais pas supposé devenir un jour réalisateur. Mon approche est plus celle d’un cinéaste que celle d’un réalisateur de film. Il y a une différence entre les deux. Le qualificatif de cinéaste implique des qualités d’artisan et une réelle connaissance de tous les corps de métier. J’estime être capable de faire le film seul. Bien sûr, il ne serait pas aussi bon, mais j’y parviendrais. Un tournage est avant tout une aventure collective. J'apprends autant de mon équipe qu’elle apprend de moi ; j’apprends même plus. Je connais tous les métiers du cinéma et je sais comment chacun fonctionne à son poste, mais je ne saurais pas faire aussi bien que chacun d’eux dans leur spécialité. Lorsque je leur demande de faire quelque chose, ils savent que je connais le boulot et que j’apprécie ce qu’ils font. J’envie même beaucoup leur talent. Je pense qu’ils en sont conscients. »
- : « Savez-vous aujourd’hui quelle place occupe ce film dans votre oeuvre ? »
Terry Gilliam : « Une place à part, c’est évident, à la fois pour ce qu’il est et pour tout ce qui s’est produit pendant que nous le faisions. Même si c’est au public de décider, j’ai le sentiment pour ma part que c’est l’un de mes films les plus aboutis et les plus réussis. Je ne sais pas expliquer pourquoi, peut-être l’alliance d’un casting fantastique, de sentiments affectueux dont je suis de plus en plus conscient avec les années et qui tendent à ressortir davantage dans mon travail. Il est certain que la disparition de Heath nous a galvanisés et que le film porte cette énergie réactive, cette pulsion de vie. Je n’oublie jamais que la mort approche, et beaucoup des choses que je vis se chargent de me le rappeler chaque jour ! Je ne vis pas cela comme une peur mais comme une formidable incitation à profiter de la vie sans perdre de temps. C’est de cette conscience que je tire mon énergie et mon envie d’avancer. Je suis convaincu que faire et partager est le meilleur moyen de se sentir vivant. C’est pourquoi je suis heureux que ce film existe et que les premiers qui l’ont découvert semblent l’aimer. »
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Fiche technique
Réalisateur : Terry Gilliam
Scénaristes : Terry Gilliam et Charles McKeown
Directeur de la photographie : Nicola Pecorini
Chef monteur : Mick Audsley
Directeur artistique et décors originaux : Dave Warren et Terry Gilliam
Chef décoratrice : Anastasia Masaro
Compositeurs : Mychael Danna et Jeff Dana
Chef costumière : Monique Prudhomme
Création des maquillages et des coiffures : Sarah Monzani
Directrice de casting : Irene Lamb
Directeur de production Royaume-Uni : Rob How
Producteurs : William Vince, Amy Gilliam, Samuel Hadida et Terry Gilliam
Producteurs exécutifs : Dave Valleau et Victor Hadida
Produit avec la participation de : Telefilm Canada
Textes : Pascale et Gilles Legardinier
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Sébastien Chenard et Paul Robert
logos, textes & photos © www.metrofilms.com