* La fille du rer
La fille du rer drame de André Téchiné
avec :
Emilie Dequenne, Catherine Deneuve, Michel Blanc, Ronit Elkabetz, Mathieu Demy, Nicolas Duvauchelle et Jeremy Quaegebeur
durée : 1h45
sortie le 18 mars 2009
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Synopsis
Jeanne vit dans un pavillon de banlieue avec sa mère Louise. Les deux femmes s’entendent bien. Louise gagne sa vie en gardant des enfants. Jeanne, sans trop de conviction, cherche un emploi.
Un jour, en lisant une annonce sur le net, Louise croit que le destin frappe à sa porte. Elle nourrit l’espoir de faire engager sa fille chez Samuel Bleistein, un avocat de renom qu’elle a connu dans sa jeunesse.
L’univers de Jeanne et celui de Bleistein sont à des années lumières de distance… Pourtant, ils vont se rencontrer à cause d’un mensonge inouï que Jeanne va échaffauder.
Le film est l’histoire de ce mensonge qui va devenir le fait divers le plus médiatisé et le plus politisé de ces dernières années.
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Entretien avec André Téchiné
Frédéric Bonnaud : « Avant de penser en faire un film, quel souvenir gardiez-vous de l’affaire du Rer D, survenue le 9 juillet 2004 ? »
André Téchiné : « Le souvenir du fait-divers le plus médiatisé et le plus politisé de ces dix dernières années. Mais c’est grâce à la pièce de Jean-Marie Besset, intitulée R.E.R, que je me suis vraiment remémoré toute cette affaire. J’ai été secoué par la violence du geste de cette jeune femme et par tout ce qu’il a pu susciter. Cette histoire devenait un miroir de toutes les peurs françaises, des angoisses profondément ancrées dans notre société, un révélateur de ce qu’on appelle l’inconscient collectif. Comment le mensonge d’un individu se transforme en vérité par rapport à la collectivité et à ses hantises ? C’est un sujet passionnant. »
Frédéric Bonnaud : « Le film est divisé en deux parties. D’abord les circonstances et puis les conséquences du mensonge. »
André Téchiné : « Oui, une des premières idées a été de couper le film en deux. D’abord raconter la généalogie d’un mensonge puis les conséquences démesurées que cette fabulation va entraîner, jusqu’à la décision de justice. J’ai gardé de la pièce de Jean-Marie Besset le travail de documentation, tout ce qui appartenait au domaine public. En revanche, la partie plus intime, le travail sur les personnages et leurs relations a été complètement changé. Et je me suis aussi servi des commentaires sur le fait-divers. J’ai repris de façon rigoureusement exacte les propos prélevés dans la réalité de l’époque. J’ai simplement mis l’accent sur le fait que la communication fonctionnait sur un dossier judiciaire vide. »
Frédéric Bonnaud : « Mais avez-vous inventé l’histoire d’amour entre Jeanne et Franck ? »
André Téchiné : « La véritable héroïne du fait-divers était attachée à son compagnon et à sa mère. Quand on l’a interrogée sur les raisons de son acte, elle a répondu qu’elle voulait exister davantage aux yeux de ces deux personnes. Le triangle est donc bien réel. Mais ce n’est qu’une référence. A partir de là, j’ai tout inventé. »
Frédéric Bonnaud : « Exister davantage, c’est un peu vague. Le grand mystère reste donc les motivations de ce mensonge… »
André Téchiné : « Les motivations de l’héroïne ne sont pas transparentes. Elles ne peuvent pas l’être. Son mensonge la dépasse. Il était important pour moi de préserver son caractère énigmatique. Même si j’ai tendance à penser qu’il s’agit d’une demande d’amour qui prend une forme monstrueuse, ça reste déroutant, ça dérange. Et au fond, je pense que c’est le caractère scandaleux et monstrueux de ce personnage qui m’a poussé à faire le film. J’en ai un peu assez des personnages tièdes au cinéma. Avec Jeanne, il y avait soudain quelque chose d’inhumain qui surgissait, ça devenait un personnage extraordinaire, à la fois un personnage réel et un personnage de film fantastique. C’est peut-être ce qu’on appelle un personnage subversif, je n’en sais rien. On se heurte à un bloc de résistance si on veut comprendre. Il s’agit toujours avec un film de traquer l’invisible. Et en même temps, il n’était pas question pour moi de l’envisager comme une pure martienne, pas du tout ! Au contraire, elle a une joie de vivre, elle file sur ses rollers, physique et rêveuse. En tout cas, j’avais envie d’aimer cette fille, sans la noircir ni la blanchir, celle par qui le scandale arrive… »
Frédéric Bonnaud : « C’est quelqu’un qui a cru toucher le bonheur du doigt et soudain tout lui est retiré. »
André Téchiné : « Toute la relation amoureuse avec Franck, je l’ai suivie pas à pas depuis la rencontre jusqu’à la séparation, sans ellipse. J’ai voulu que leur désir se renforce de séquence en séquence et qu’un lien se crée à vue. C’était à la fois une expérience de cinéma et une expérience érotique de donner naissance à un couple. Je n’avais pas de programme pour ça. Ce n’était pas du scénario. Par exemple, j’ai montré leur dialogue en webcam comme un explorateur car je ne connaissais pas ce moyen si moderne et répandu d’établir un contact. Ça se fait dans un temps qui est le même mais dans un espace qui est différent. Ça défie les règles classiques du champ-contrechamp et par ailleurs, c’est tout à fait réaliste. Les regards ne peuvent pas se croiser. Les présences sont à la fois virtuelles et réelles. On est de plain-pied dans l’imaginaire intime à forte charge sexuelle. Au contraire, quand je montre les actualités à la télévision, on est dans l’imaginaire collectif de l’info et de la Vérité. J’ai tenu à présenter la véritable victime d’une agression antisémite selon la version grand messe du journal télévisé. C’est du document brut greffé dans le film. Il a sûrement joué un rôle dans la fabrication du mensonge de Jeanne. C’est le cas de beaucoup d’éléments dans la première partie du film que l’on retrouve déformés dans la fable de sa déposition. En tout cas jusqu’au coup de couteau, qui n’arrive qu’au bout d’une heure, le film n’a rien de dramatique. J’ai recherché au contraire une forme de plaisir et de disponibilité. J’ai utilisé avec insistance les rollers pour donner cette liberté de mouvement, ce sentiment de joie d’être sur terre et de pouvoir décoller. Je voulais quelque chose de léger comme une danse. Dans cette première partie, il fallait surtout éviter de programmer la tempête à venir. Je déteste le côté “l’ombre du drame qui rôde”. Il fallait montrer tout simplement des moments de bonheur. »
Frédéric Bonnaud : « Dans la deuxième partie du film, on s’intéresse aux conséquences du mensonge de Jeanne, à l’emballement médiatique. C’est la description de l’état d’une société… »
André Téchiné : « C’est le deuxième volet. Pour moi, c’est presque un deuxième film qui commence. Quand l’affaire est tout à coup relayée par la télévision, quand sa mère lui annonce que l’on parle d’elle à la télé, Jeanne n’en revient pas. La fiction qu’elle avait inventée, bricolée dans son coin avec les quelques éléments à sa disposition (dont la réelle montée de l’antisémitisme sous forme d’agression physique) devient tout à coup un succès. Soudain ça prend ! Et l’histoire que tout le monde raconte alors, sur laquelle tout le monde se doit d’avoir une opinion, échappe totalement à la détresse d’une jeune mythomane de banlieue. Dans son monde à elle, elle serait allée au commissariat porter plainte, on n’aurait pas trouvé de coupables, puisqu’il n’y en avait pas, et l’histoire serait finie. Toute cette affaire aurait pu et du s’arrêter là. Mais non. Alors, pourquoi ? Comment expliquer le succès de cette fiction bricolée ? Le film expose les étapes de l’emballement mais il laisse le spectateur libre de sa réponse. Chacun devra essayer de comprendre pourquoi cette affaire est devenue énorme. Moi, je ne voulais surtout pas faire un film à thèse ou à débat. Le point de vue le plus saillant est celui du personnage de Mathieu Demy, quand il dit que c’est l’Etat qui a littéralement inventé toute cette affaire du Rer D, et non cette malheureuse ! Mais ce qui rend cette affaire si intéressante et si riche, c’est qu’elle est non seulement le reflet de toutes nos peurs mais aussi le danger de notre ordre moral. »
Frédéric Bonnaud : « Le film joue avec des éléments de tragique comme de comique. Bien sûr que cette histoire est tragique mais l’exagération qui s’ensuit est presque drôle. »
André Téchiné : « Il ne faut jamais avoir peur de ces éléments ! C’est justement quand c’est comique ou tragique qu’une histoire fait preuve de vitalité. Je joue chaque fois la séquence pour elle-même, pour l’émotion qu’elle dégage, pas pour la suite du scénario. »
Frédéric Bonnaud : « Quelle émotion par exemple pour la scène du dealer ? »
André Téchiné : « Pour la scène du dealer, c’est le coup de couteau . il fallait que ça fasse mal. On m’a dit Attention au polar !, Attention au gore ! Peu importe ! On devait découvrir que Frank, le champion de lutte, est un être de chair et de sang. J’ai assumé l’action avec le plus de précision possible, sans effet de ralenti ou d’accéléré, en jouant sur l’évolution du rapport de force, avec l’illusion de la durée réelle et l’utilisation d’un espace concret. »
Frédéric Bonnaud : « Le film n’est pas linéaire. Il brasse beaucoup de personnages. Il y a la présence du passé et une autre famille, très différente, en contrepoint du couple mère/fille que constituent Emilie Dequenne et Catherine Deneuve. »
André Téchiné : « A la toute première scène du film, on voit la mère qui recherche sur le net des offres d’emplois pour sa fille. Et puis le nom de Bleistein apparaît. C’est un nom qu’elle avait oublié et qui remonte à la surface. C’est ce nom juif qui lance l’histoire. Il ne devait pas rester abstrait. J’ai décidé de montrer les individus qui portent ce nom. Trois générations. Le fils, le père et le grand-père, chacun dans sa singularité. Et puis la figure de Judith, l’étrangère à la fois intégrée et décalée. Toute cette matière humaine forme un petit monde comme un petit film parallèle. Et puis des interférences vont se créer avec l’histoire de Jeanne. Et même des connexions étroites. A la fin, le grand-père Bleistein écrira un livre sur elle et son petit-fils. Nathan lui fera parvenir de Venise sa première déclaration d’amour. Je voulais faire un film-chant où poème et narration se confondent, le contraire d’un film dossier. »
Frédéric Bonnaud : « Au coeur du film, il y a le thème de l’identité. »
André Téchiné : « C’est le cas de le dire puisqu’au coeur du mensonge de Jeanne, il y a le désir de devenir juif sur le mode persécutif, c’est une identification. Et puis il y a la question de la Bar Mitsvah pour Nathan qui devient un enjeu et une source de conflit pour les membres de la famille. Il est étrange d’ailleurs que l’appartenance à la collectivité passe pour Jeanne par la garde-à-vue et la sanction de justice tandis que pour Nathan, elle passe par la cérémonie religieuse qui le rattache à une communauté. J’ai mis en parallèle ces deux expériences identitaires à la fin du film. Mais sur cette question si actuelle de l’identité, le sens unique et figé est un repli fatal. Si l’identité n’est pas plurielle et discontinue, elle devient vite absence de liberté. »
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Fiche technique
Réalisateur : André Téchiné
Mise en scène : André Téchiné
Scénario – adaptation – dialogues : André Téchiné, Odile Barski et Jean-Marie Besset
Producteur : Saïd Ben Saïd
Musique orginale : Philippe Sarde
Image : Julien Hirsch
Premier Assistant : Michel Nasri
Son : Jean-Paul Mugel, Francis Wargnier et Cyril Holtz
Décors : Michèle Abbe
Montage : Martine Giordano
Costumes : Khadija Zeggaï
Direction de production : Bruno Bernard
Post-production : Abraham Goldblat
Entretien dossier de presse : Frédéric Bonnaud
Ventes internationales : Ugc
Editions Vidéo : Ugc Video
Une production : Sbs Films
en coproduction avec : France 2 Cinema
en association avec : Sofica Ugc 1 et Sofica Soficinema 5
avec la participation de : Canal+, de Tps Star et du Centre National de la Cinématographie
ventes internationales : Ugc, éditions vidéo Ugc Vidéo
© 2008 Sbs Films – France 2 Cinéma
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